La personnalité de Jean Castex conduit à s’interroger sur le sens d’une nomination surprise.
Tisonnant la cendre des abstentions, nombre de journalistes font semblant de croire que la nomination d’un nouveau Premier ministre et la formation d’un nouveau gouvernement vont faire renaître la passion politique de nos concitoyens. La prudence et la circonspection devraient guider leurs commentaires.
Cependant, les dossiers que devra prendre en charge la prochaine équipe sont essentiels : croissance économique en berne, hausse de la dette, chômage en forte augmentation, tensions sociales, incertitude sanitaire…On ne saurait donc le balayer d’un revers de main l’ouverture d’une seconde étape du quinquennat.
Premier constat, Jean Castex est bien celui que l’on n’attendait pas. Soucieux d’obtenir le respect, cet élu local au profil de haut fonctionnaire a prévenu d’emblée qu’il ne fallait pas le prendre pour un simple collaborateur du président. Saura-t-il convaincre?
Il existe trois grands modèles de Premier ministre. Les fidèles, ceux dont la loyauté ne fait guère de doute et qui s’imposent par la force de cette évidence : Pierre Mauroy, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Ayrault font partie de cette lignée. Il y a ceux qui doivent leur nomination aux circonstances politiques plus qu’à leur alliance avec le Président: Michel Rocard, Édouard Balladur ou même Édouard Philippe en sont les emblèmes. Et puis il y a les hommes de l’ombre. On peut citer parmi eux Georges Pompidou, Raymond Barre, ou même Dominique de Villepin.
« Désignés durant la seconde partie d’un mandat, ces grands commis de l’État sont censés rassurer le Président, souligne Pierre-Emmanuel Guigo, maître de conférences en histoire à l’Université Paris-Est-Créteil et auteur d’une remarquable biographie de Michel Rocard (Perrin, 379 p. 23€). N’oublions pas que le champ politique est un milieu très concurrentiel. Un président ne peut se permettre de travailler avec, à ses côtés, un rival potentiel.»
Il est évident que Jean Castex appartient à cette famille de Premier Ministre. Même s’il devenait très populaire, il n’aurait pas le temps d’incarner une alternative crédible pour 2022. Il n’en allait pas de même pour Édouard Philippe, qui a su se montrer pédagogue efficace au cours de la crise du Covid 19 et qui est devenu plus populaire que le président Macron. « Toute proportion gardée, le maire du Havre a connu le même destin que Michel Rocard, estime Pierre-Emmanuel Guigo. Il a gouverné pendant trois ans, bénéficié d’une cote de popularité supérieure à celle du président…Et donc été victime de la vengeance de ce dernier, qui l’a contraint au départ! »
En choisissant un Premier ministre inconnu du grand public, Emmanuel Macron a sans doute voulu trouver le personnage capable de combler ses propres manques. « A plusieurs reprises, Jean Castex a souligné son ancrage local et son refus du communautarisme, observe Pierre-Emmanuel Guigo. Alors que le Président, qui n’a jamais été élu avant d’accéder à l’Élysée, inscrit son action dans le cadre de la mondialisation et défend un dialogue interreligieux plutôt ouvert, cet élu venu du Gers peut lui apporter un complément utile. »
On se gardera cependant de tirer des conclusions hâtives. Quand on lui a demandé de dire ce que signifiait le gaullisme social auquel il se disait très attaché, Jean Castex a répondu que cela représentait la responsabilité individuelle, précisant que les Français ne devaient pas tout attendre de l’État. « C’est la définition d’une politique libérale de droite, analyse Pierre-Emmanuel Guigo. Pas du tout celle du gaullisme social. »
En attendant d’en savoir davantage sur le futur gouvernement, on peut imaginer qu’en cette journée décisive les candidats ministres se font des cheveux blancs, s’agitent et se tourmentent. Puissent-ils méditer la leçon de Jean-Louis Debré. L’ancien président de l’Assemblée nationale et du Conseil Constitutionnel vient de publier Une histoire de famille (Robert Laffont 267 p. 21 €) merveilleuse galerie de portraits de ses ancêtres. Il y raconte qu’au soir du 8 mai 1995, alors que Jacques Chirac, nouvellement élu président de la République, lui avait promis de le nommer ministre de l’Intérieur, il reçut de son père Michel, éminent homme d’État, cette parole de sagesse : « tu seras plus longtemps ancien ministre que ministre.» On reconnaît les grands politiques à leur sens de la mémoire.