Brève histoire des liens entre protestantisme et poésie de langue française (1/3), de François Ier à Henri IV.
Le Psautier de Jean Calvin et Clément Marot (Strasbourg, 1539)
Si les premiers ouvrages de poésies protestantes en langue française apparaissent vers 1533 à Neuchâtel sous la plume du prédicant Mathieu Malingre (15..-1572), le premier recueil d’envergure est édité en 1539 à Strasbourg, à destination de la paroisse des réfugiés français de cette ville allemande passée à la Réforme à la fin des années quinze cent vingt. A cette date, le pasteur de la communauté, en poste depuis un an à l’appel du réformateur Martin Bucer (1491-1551), s’appelle Jean Calvin (1509-1564), juriste et théologien picard de trente ans, à la notoriété montante suite à la publication en latin, trois ans auparavant, d’un maître-ouvrage sous influence luthérienne, qui deviendra, après traduction en français par l’auteur lui-même, l’Institution de la religion chrétienne, ouvrage « phare » du protestantisme français au XVIe siècle. Dès son arrivée à Strasbourg, le « pasteur » Calvin est confronté au problème de l’établissement d’une liturgie pour des cultes en langue française. D’où la mise en œuvre, reprenant le modèle proposé par Bucer aux paroissiens strasbourgeois de langue allemande, de l’édition d’un recueil de cantiques intitulé Aulcuns pseaulmes et cantiques mys en chant, comprenant pour l’essentiel dix-neuf paraphrases versifiées de psaumes dits « de David », traductions versifiés en langue française des originaux hébreux de l’Ancien Testament, accompagnés de mélodies empruntées à la liturgie strasbourgeoise allemande. Six de ces psaumes sont attribués à Jean Calvin, les autres sont de Clément Marot (1495-1544). Les deux hommes s’étaient rencontrés à Ferrare en avril-juillet 1536 alors qu’ils avaient dû fuir le Royaume de France après le déclenchement par François Ier (1494-1547) des persécutions contre les « luthériens » suite à l’affaire des Placards (18 octobre 1534).
Le Psautier de Clément Marot et Théodore de Bèze (Genève, 1562)
Auteur d’une œuvre poétique considérable, Marot, proche de la sœur de François Ier, Marguerite de Navarre (1492-1549), est suspect d’hérésie après avoir longtemps bénéficié de la protection du roi, consacre les dernières années d’une vie devenue errante à la traduction versifiée des Psaumes de l’Ancien Testament, quarante-neuf au total, jusqu’à sa mort prématurée en 1544. La traduction de Marot, appréciée par François Ier, approuvée puis rapidement censurée par la Sorbonne catholique, est un immense succès ; elle fait autorité à Genève, ville réformée où Calvin s’est installé de manière définitive en 1541. Les psaumes de Marot sont mis en musique et chantés dans les assemblées réformées ; ceux de Calvin disparaissent des recueils, de la volonté même du Réformateur, préférant la virtuosité ludique du poète à la beauté sèche de ses propres traductions. Après la disparition de Marot en 1544, Calvin charge son second, Théodore de Bèze (1519-1605), de poursuivre l’œuvre du poète pour les cent un psaumes restants. Il est vraisemblable que d’autres auteurs furent sollicités, en particulier un ami de Ronsard (1524-1585), Louis Des Masures (1515-1574), poète à la cour de Lorraine, secrètement converti à la Réforme lors d’un séjour à Genève ; ses Vingt Pseaumes de David, traduits selon la vérité hebraïque, et mis en rime françoise, de 1557, forment un ensemble de grande valeur littéraire mais cette traduction ne sera pas retenue par les théologiens de Genève. Après une série d’éditions intermédiaires partielles, le travail littéraire de paraphrase rimée des cent-cinquante psaumes de l’Ancien Testament s’achève en 1562, à l’aube des Guerres de Religion, dix-huit ans après la mort de Marot, deux ans avant celle de Calvin, avec la parution du psautier complet (Marot-Bèze) dans plusieurs villes, dont Genève, Lyon et Paris : le nombre d’exemplaires publiés est considérable pour l’époque, estimé à plus de cinquante mille, pour la seule année 1562.
A l’aube des guerres de religion : Ronsard contre les protestants
En 1562, le massacre par le duc de Guise de Protestants réunis en assemblée à la grange de Wassy marque le début des guerres de religion, huit au total, qui vont ensanglanter le royaume pendant près de 36 ans. Cette période tumultueuse qui s’achève avec la promulgation de l’édit de Nantes par Henry IV en 1598 peut être considérée comme l’âge d’or de la poésie protestante, sans doute aussi de la poésie anti-protestante. Annoncé dès 1558 par un ouvrage poétique anti-protestant d’Etienne Jodelle (1532-1573), membre de la Pléiade, Contre les ministres de la nouvelle opinion, un chapitre important de l’histoire poétique du protestantisme s’ouvre avec la parution de trois longs poèmes d’un Ronsard (1524-1585) consterné par le conflit qui s’engage : en 1562, Discours des miseres de ce temps, puis Continuation des discours des miseres et en 1563, Remontrance au peuple de France. Ces discours qui furent les œuvres de Ronsard les plus diffusées de son vivant font porter toute la responsabilité des « miseres » aux huguenots. Ces derniers, en particulier par la plume du pasteur Antoine de Chandieu (1534-1591) vont répondre, alors que Jean Calvin et surtout Théodore de Bèze, nommément mis en cause par Ronsard, gardent le silence ; une violente dispute poétique va se développer jusqu’en septembre 1563, date à laquelle Charles IX ordonne que soit mis fin à cette polémique théologique et littéraire. De cette période riche d’invectives, on retient également, coté protestant, les sonnets « philosophiques » du médecin Jacques Grévin (1538-1570), personnalité irénique.
Agrippa d’Aubigné et Guillaume du Bartas
Mais c’est un peu plus tard dans le siècle, autour de l’ascension d’Henry de Navarre, que se situe l’apogée de la poésie protestante. Si Ronsard avait résisté sans trop de dommages aux libelles protestants, il ne survivra pas, en terme de notoriété, à la parution en 1578 de la Sepmaine du diplomate huguenot Guillaume de Salluste Du Bartas (1544-1590), longue réécriture ambitieuse et inégale du récit biblique de la création visant à présenter au lecteur tout le savoir scientifique de l’époque, sous forme versifiée. Quelques mois auparavant, le poète-soldat Théodore-Agrippa d’Aubigné (1552-1630) alors grièvement blessé, dictait les premières lignes des Tragiques, relecture, là aussi ambitieuse et inégale, des guerres de religion sur un mode prophético-apocalyptique. L’auteur, fervent militant de la cause huguenote, survivra à ses blessures et prendra acte, au fur et à mesure de l’écriture de ce sommet de la poésie baroque, étalée finalement sur une quarantaine d’année, de la défaite des huguenots et de la « trahison » d’Henry IV, converti au catholicisme. Œuvres cousines, La Sepmaine et les Tragiques connaîtront un destin éditorial inverse : célébrité immédiate pour l’œuvre de Du Bartas, désintérêt pour celle d’Agrippa d’Aubigné, parue sous l’Edit de Nantes, dans un contexte apaisé, quelques années après la mort d’Henri IV. L’époque moderne rendra justice aux Tragiques alors que la notoriété de la Sepmaine reste pour l’instant confinée aux cercles universitaires.
Autres auteurs
Autre proche d’Henry de Navarre qu’il suivra jusque dans sa conversion au catholicisme, Jean de Sponde (1557-1595) n’eut jamais le succès que son immense talent, matérialisé par ses Stances sur la mort et Sonnets sur le même sujet, appelait. Toujours dans l’entourage proche du futur Henry IV, il convient de citer le poète et théologien Jacques Davy Du Perron (1556-1618), d’origine protestante, converti au catholicisme jusqu’à en devenir cardinal, et qui accompagnera, au sens pastoral du terme, la conversion d’Henry IV. De cette période complexe et violente, d’autres poètes importants sont en attente d’éditions « de référence », accessibles à un large public : Simon Goulart (1543-1628), Jean de la Gessée (1550-1600), Pierre Poupo (1552-1590) et surtout André Mage de Fiefmelin (1560-1603).