Brève histoire du protestantisme concordataire, de la Réforme du XVIe siècle à la création de l’UEPAL en 2006.
1) Des débuts de la Réforme en Alsace-Moselle jusqu’à la Révolution française.
Influencées par les écrits de Luther qui circulent depuis 1517, les premières personnalités associées à la Réforme en Alsace-Moselle furent des prédicateurs au début des années 1520, en particulier à la cathédrale de Strasbourg, Matthieu Zell, à Wissembourg, le dominicain Martin Bucer, futur Réformateur de Strasbourg, à Mulhouse, le prieur des Augustins, Nicolas Prugner et à Metz, le cordelier François Lambert. Cette vague de prédicateurs, soutenus par les magistrats (dont Jacques Sturm fut un exemple brillant) et une partie des populations font qu’à partir de 1524, les principales villes d’Alsace, à savoir, Strasbourg, Mulhouse, Colmar, Munster, Wissembourg, à titre définitif, Haguenau, Obernai et Sélestat, pour quelques dizaines d’années, passent au protestantisme. En 1538, le pédagogue Jean Sturm fonde la Haute École de Strasbourg qui est l’ancêtre de la faculté de théologie protestante.
Notamment en raison de la Guerre des Paysans, les zones rurales sont touchées plus tardivement, à partir de 1545, sous l’action conjointe des prédicateurs et des princes. Et à la fin du XVIe siècle, en application du principe cujus regio, ejus religio, le tiers des villages alsaciens est passé à la Réforme, ce qui signifie que deux-tiers des villages restent catholiques, en particulier autour des principautés ecclésiastiques, des possessions des Habsbourg et de la Maison de Lorraine. Pour ce qui est de la répartition de ces zones rurales entre catholicisme et protestantisme, il est important de noter qu’elles dessinent en Alsace un paysage religieux qui est toujours d’actualité.
Du point de vue de l’organisation, on retiendra que se constituent 48 Eglises territoriales autonomes protestantes, relevant juridiquement du pouvoir civil, régies par des ordonnances ecclésiastiques promulguées par les magistrats ou par les Seigneurs. Cette situation administrative durera jusqu’à la Révolution. Notons enfin que l’Alsace protestante a été une terre d’accueil pour les protestants français persécutés, par exemple à Strasbourg où de 1538 à 1541 la communauté des refugiés francophones eut Calvin comme pasteur, mais aussi à Bischwiller et dans une série de villages abandonnés du comté de Sarrewerden, entre Sarre-Union et Sarrebourg.
Pour ce qui est de la Moselle de la fin du XVIe siècle, on compte une soixantaine de villages protestants, Metz restant une ville catholique, avec toutefois une forte minorité protestante, constituée en Eglise autonome, indépendante de l’autorité civile, sur un modèle calviniste, dirigée par un consistoire composé de pasteurs, de diacres et d’anciens.
Au XVIIe siècle, la guerre de trente ans, l’incorporation de l’Alsace au Royaume de France et les persécutions religieuses de Louis XIV perturbent et compliquent la vie des Eglises protestantes d’Alsace. En 1648, la signature des traités de Westphalie garantit le libre exercice des cultes protestants dans l’Alsace passant sous souveraineté française et en 1681, la capitulation de Strasbourg garantit dans la ville et ses dépendances le maintien des institutions, biens et libertés des luthériens, à l’exception de la cathédrale qui est rendue au culte catholique. Mais à partir de 1680, le pouvoir royal prend une série de mesures anti-protestantes, comme le simultaneum, c’est-à-dire l’obligation faite aux paroisses de céder au culte catholique le chœur et l’usage de la nef de l’église protestante, dès lors qu’il y a sept familles catholiques dans le village. En 1685, Louis XIV révoque l’édit de Nantes. L’Alsace, qui relève des traités de Westphalie, n’est pas concernée par cet édit. Par contre, la Révocation est appliquée à la lettre à Metz et dans le pays messin où le protestantisme est éradiqué.
Du point de vue des tensions religieuses, autant le XVIIe fut un siècle perturbé, autant le XVIIIe siècle fut, en comparaison, un siècle apaisé. A la Révolution française, l’Alsace protestante réussit à maintenir ses positions dans une période très mouvante et assez anti-cléricale, en particulier grâce aux compétences diplomatiques du juriste Christophe Guillaume Koch.
2) Les Articles organiques
Le 15 juillet 1801, Napoléon Bonaparte, alors premier consul, signe un traité de Concordat avec le Saint-Siège. Dans la continuité sont promulgués le 8 avril 1802, les Articles organiques des cultes protestants. Il s’agit de reconnaître un principe de liberté religieuse, qui est un acquis de la Révolution, mais ce principe de liberté religieuse doit se vivre mais dans le cadre des cultes reconnus, à savoir, pour les protestants, l’Eglise réformée, calviniste, et l’Église de la Confession d’Augsbourg, luthérienne.
Pour ce qui est de l’Eglise luthérienne, la nouvelle organisation imposée par Napoléon est centralisée et hiérarchique. Elle comporte 4 étages : les Consistoires, les Inspections, le Consistoire général et le Directoire. Juridiquement, l’entité de base n’est donc pas la paroisse mais le consistoire, composé au minimum de 6000 fidèles. On notera que l’Assemblée consistoriale est composée des citoyens les plus imposés. Les Consistoires sont regroupés en Inspections. Et au sommet, il y a un Consistoire général de dix membres et un Directoire qui gère les affaires entre les assemblées du Consistoire Général. Ce Directoire est une instance composée de 5 membres dont 3 sont nommés par le gouvernement.
Suite à la demande insistante des autorités ecclésiastiques protestantes, ces dispositions seront revues en 1852. A cette date, Louis Napoléon Bonaparte promulgue un décret qui réorganise les cultes protestants, en instaurant le suffrage universel, en restaurant les paroisses et renforçant les pouvoirs du Directoire luthérien.
Après la défaite française de 1871, l’Alsace et une partie de la Lorraine sont annexées à l’Empire allemand par le traité de Francfort : les cinq Consistoires réformés et l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine voient leurs statuts maintenus par le gouvernement allemand. Mais l’Eglise luthérienne, en toute logique, perd les Inspections de Paris et de Montbéliard. Pendant l’Annexion, 72 nouvelles églises luthériennes et réformées, en particulier en Moselle, sont construites ainsi que 3 églises de garnison.
Le 21 juin 1905, en Allemagne, une loi d’Empire crée l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine (ERAL) qui va regrouper les cinq Consistoires réformés, sous l’autorité d’un Synode. Alors qu’en France, le 9 décembre de cette même année 1905, c’est l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État qui remplace le régime du concordat de 1801. La personnalité marquante de cette période est Albert Schweizer, fils de pasteur luthérien, organiste, docteur en philosophie, docteur en théologie et docteur en médecine.
En 1918, suite à la défaite allemande, l’Alsace et la Lorraine sont de nouveau annexées à la France par le traité de Versailles. Une loi du 1er juin 1924 maintient, à titre provisoire, le régime local des cultes après que, la même année, on a tenté de l’abolir, ce qui a entrainé une très forte réaction de la population. La Faculté de théologie protestante reste au sein de l’Université de Strasbourg et ses diplômes sont nationaux.
En 1940, l’Alsace-Moselle est ré-annexée à l’Allemagne et le régime concordataire aboli en 1941 : les Églises deviennent des sociétés religieuses de droit privé. Le régime concordataire est rétabli lorsque l’Alsace-Moselle redevient française, par une ordonnance du 15 septembre 1944.
Ce régime concordataire, toujours en vigueur aujourd’hui, a fait l’objet de diverses contestations, la plus récente datant de 2012. Tout commence par une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’Association Pour la Promotion et l’Expansion de la Laïcité. La question porte sur le traitement des ministres du culte réformés et luthériens dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Cette question est jugée recevable par le Conseil d’Etat qui saisit le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2012. Les cultes protestants d’une part, le gouvernement d’autre part, présentent au Conseil constitutionnel leurs mémoires. Après instruction, le Conseil constitutionnel rend son avis le 21 février : il considère que le régime des cultes reconnus, toujours en vigueur en Alsace-Lorraine, n’est pas conforme au principe constitutionnel de laïcité, mais constitue une exception constitutionnelle à ce principe. On notera que cette décision du Conseil constitutionnel s’appuie pour l’essentiel sur le mémoire présenté par le gouvernement. Cette décision est basée sur une interprétation historique avec comme arguments, d’une part qu’un équilibre a été trouvé en Alsace-Moselle, entre laïcité, liberté religieuse et paiement par l’État des ministres du culte et d’autre part, qu’il aurait été imprudent de remettre en cause le droit local, alors que ce système, mélange de droit français et allemand, qui survit depuis plus de 100 ans, a montré son efficacité dans de nombreux domaines.
3) La création de l’UEPAL (Union des Eglises protestantes d’Alsace-Lorraine)
Les Eglises luthériennes et réformées d’Alsace-Moselle ont décidé au début des années 2000 d’opérer un rapprochement. Plusieurs tentatives d’Union avaient échouées, en particulier à l’époque du Consulat, puis à la fin des années 1840.
Après la seconde guerre mondiale, de manière pragmatique, l’ECAAL et l’ERAL ont créé des commissions et des services communs. Elles se sont dotées d’un Conseil commun et d’une assemblée commune pour les gérer, sur une base de paritarisme, alors que les luthériens sont environ sept fois plus nombreux que les réformés. Une étape importante sur le chemin d’un rapprochement avait été en 1973 la signature de la Concorde de Leuenberg qui établit la pleine communion de chaire et d’autel pour les Eglises signataires.
A l’aube du XXIeme siècle, la situation est la suivante :L’Eglise réformée d’Alsace-Lorraine se compose d’environ 25 000 paroissiens répartis en 44 paroisses sur 4 consistoires, un synode et un conseil synodal de 5 élus. L’Eglise de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine est composée d’environ 200 000 paroissiens, répartis en 203 paroisses, regroupées en 40 consistoires, eux-mêmes répartis en 7 inspections et une assemblée, le Consistoire supérieur, le tout dirigé par un Directoire de 5 personnes. Les luthériens sont majoritaires à Strasbourg et au nord de l’Alsace où le protestantisme s’est le plus facilement implanté, tandis que les réformés sont majoritaires là où la population protestante luthérienne et réformée est la moins dense : à Mulhouse et dans le sud de l’Alsace ainsi qu’en Moselle.
Le 18 avril 2006, à la demande des directions des deux Églises, un décret fonde juridiquement l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), fédérant ainsi l’ECAAL et l’ERAL, désormais EPCAAL et EPRAL.L’Union a pour objet de « conduire des actions de témoignage et de présence de l’Eglise dans la société » et de «resserrer les liens » entre ces Églises. Trois nouveautés marquent cette création.
Première nouveauté : le passage du paritarisme au profit d’un répartition 2/3 des voix délibératives pour la partie luthérienne, un 1/3 des voix à la partie réformée. l’UEPAL est dirigée par une Assemblée de l’Union, un Conseil de l’Union en formation plénière et restreinte, tous trois issus des assemblées et des organes directeurs de l’EPCAAL et de l’EPRAL. Ces instances sont toutes majoritairement luthériennes et sont composées de :
- L’Assemblée de l’Union, organe législatif, comprend 52 membres répartis en 20 membres de droit, 29 membres élus, 3 membres cooptés. Elle se réunit deux fois par an. Après une première période consacrée au fonctionnement des nouvelles institutions, les travaux de l’Assemblée sont consacrées aux grandes orientations de l’Union (place de l’UEPAL dans le bassin rhénan, la question de la fin de vie, un projet catéchétique pour l’Eglise, la question de la possible bénédiction des couples mariés de même sexe, la mise en route d’un travail de réflexion théologique commun).
- Le Conseil plénier, première configuration de l’organe exécutif, comprend 15 personnes, à savoir les cinq membres du Directoire, les cinq membres du Conseil synodal et cinq délégués élus en son sein par l’Assemblée de l’Union. Il désigne son président qui est soit le président du Directoire de l’EPCAAL, soit le président du Conseil synodal de l’EPRAL. Il examine les textes règlementaires nouveaux, les propositions d’action de communication, les projets d’envergure comme Protest’temps fort, Itinéraire protestant, site Internet, etc.
- Le Conseil restreint, seconde configuration de l’organe exécutif, est composé de six membres, le président, le vice-président et deux membres du Directoire de l’EPCAAL, le président du Conseil synodal de l’ERAL et un délégué choisi par ce conseil en son sein. Le Conseil restreint agit comme le gouvernement de l’Union, gère les affaires courantes à savoir la mise en œuvre des orientations décidées en Assemblée de l’Union, la gestion du corps pastoral unifiée, le suivi des services de l’Union, la gestion financière, etc
Deuxième nouveauté : la création d’un corps pastoral unique (281 pasteurs) et d’une commission des ministères. L’accès aux fonctions de pasteur est défini par le décret de 2002 portant réglementation des conditions d’obtention du Certificat d’Aptitude aux Fonctions Pastorales, à savoir validation d’un Master en théologie protestante auprès de l’institut de théologie protestante de l’université de Strasbourg, validation d’une formation professionnelle mise en œuvre par une commission des ministères, créée par ce même décret et dont les décisions sont indépendantes de la direction de l’Eglise.
Troisième nouveauté : les finances. Au 1er janvier 2012 les organes financiers de l’EPCAAL et de l’EPRAL ont été fusionnés sous l’égide d’une association de droit local : Entraide et solidarité protestantes.Le budget net global de l’UEPAL est d’environ 3 millions d’euros en 2014. Ce budget ne comprend pas les salaires des pasteurs qui sont pris en charge par l’état pour un montant d’environ 6 millions d’euros.
Conclusion. Si le corps pastoral et les finances sont désormais unifiés, chaque Église conserve son administration propre au niveau des paroisses et des consistoires. Les articles organiques restent en vigueur. Le nouvel ensemble se compose 247 paroisses composées de 225 000 membres soit environ 10 % de la population sur les 3 départements. Le président du Conseil de l’Union est, depuis février 2014, Christian Albecker. Son prédécesseur était Jean-François Collange, ancien doyen de la faculté de théologie protestante de Strasbourg, ancien vice-président de l’université de Strasbourg.