Traces protestantes dans la poésie française (1802-20..)

Brève histoire des liens entre protestantisme et poésie de langue française (3/3), des Articles organiques (Napoléon) à aujourd’hui.

Le piétisme au XIXe siècle

Le romantisme naissant avec les protestants helvètes Madame de Staël (1766-1817) et Benjamin Constant (1767-1830) ne s’occupe que très accessoirement de poésie, même s’il convient de citer Louis de Fontanes (1757-1821), catholique d’ascendance protestante, auteur de deux longues pièces consacrées au protestantisme : Discours sur l’édit en faveur des non-catholiques (1788) et Stances sur un village des Cévennes où se trouvait l’ancien patrimoine de ma famille, et qui porte mon nom (1805). Plus tard, le Réveil piétiste produit une importante quantité de textes rimés, notamment des cantiques, témoignant, d’Alexandre Vinet (1797-1847) à Ruben Saillens (1855-1942), d’une inspiration littéraire assez moyenne.

Napoléon Peyrat et Louisa Siefert

Grand siècle de poésie, le XIXe est pauvre du point de vue protestant à l’exception du pyrénéen Napoléon Peyrat (1809-1881) et de la lyonnaise Louisa Siefert (1845-1877). Originaire de l’Ariège, Napoléon Peyrat (1809-1881) est pasteur (études à Montauban) à Saint-Germain-en-Laye de 1847 à sa mort. On lui connaît deux passions : l’histoire et la poésie. Peyrat est l’auteur de trois recueils publiés sous le pseudonyme de Napol le pyrénéen : L’Arise (1863), La Grotte d’Azil (1874), les Pyrénées (1877). Ce spécialiste de la guerre des Cévennes consacre une longue pièce en vers glorifiant les chefs camisards : « Oh ! qui dira cette épopée ! / Les héros de la croix, les martyrs de l’épée ». Ancêtre du chanteur Renaud, la fragile Louisa Siefert est issue d’une grande famille protestante cévenole (Villaz puis de Villas); elle connut un grand succès avec le recueil Rayons perdus (1868) que le jeune Arthur Rimbaud appréciait particulièrement et dont on peut recommander Les papiers de famille, long poème qui évoque sa généalogie : « O spectres qu’aujourd’hui je touche, / Chers inconnus que j’entrevois, / La mort en vain clôt votre bouche : / Jusqu’à moi parvient votre voix ! ».

Traces de protestantisme chez les grands auteurs au XIXe siècle

En dehors de ces deux auteurs protestants, l’intérêt de cette période réside peut-être dans ces fragments de grands auteurs qui au détour de leurs œuvres, de manière souvent accessoire, se réfèrent à des éléments de l’histoire du protestantisme. L’exemple le plus singulier se trouve dans l’édition de 1837 des Poèmes antiques et modernes d’Alfred de Vigny (1797-1863) : son poème intitulé « Madame de Soubise » a pour originalité de rendre compte de l’horreur de la Saint-Barthélémy du point de vue d’une héroïne (de fiction) catholique, curieusement inspirée par la très protestante Catherine de Parthenay (1554-1631), qui participera activement à la résistance de La Rochelle assiégée par Richelieu, jusqu’à la reddition de 1628 et dont le premier mari fut tué la nuit de la Saint-Barthélémy. On retrouve aussi des « traces », parfois infimes, de protestantisme chez des auteurs non-protestants comme Lamartine (1790-1869), Hugo (1802-1885), Nerval (1808-1855), Gauthier (1811-1872), Baudelaire (1821-1867), Verlaine (1844-1896), etc. Tout ceci donne à l’ensemble du siècle l’apparence d’un cabinet de curiosité assez plaisant, avec au final le retour en grâce du protestantisme dans le jeu poétique, à la fin du XIXe siècle, avec les Cahiers d’André Walter (1891) du jeune André Gide (1869-1951). Gide ne restera pas poète longtemps ; mais son intérêt pour la poésie ne faiblira jamais, jusqu’à la parution, à la fin de sa vie de l’Anthologie de la poésie de française, ouvrage mésestimé.

Oecuménisme et laïcité

Aux XXe et XXIe siècles, c’est chez les auteurs d’origine protestante qu’il convient de chercher des « traces » de protestantisme. Traces nettes chez les grands auteurs suisses, désormais le pays de référence, avec Charles- Ferdinand Ramuz (1878-1947), Blaise Cendrars (1887-1961), Edmond-Henri Crisinel (1897-1948), Gustave Roud (1897-1976), Marc Eigeldinger (1917-1991), Philippe Jaccottet (1925), Jacques Chessex (1934-2009) qui dessinent un paysage littéraire riche et diversifié. Traces sans doute plus diffuses chez les poètes français Francis Ponge (1899-1988), André Pieyre de Mandiargues (1909-1991), Jean-Paul de Dadelsen (1913-1957), Bernard Heidsieck (1928-2014), Jean-Michel Maulpoix (1952), etc., tous auteurs dont les œuvres portent, par endroit, des marques, accidentelles serait-on tenté d’écrire, de leurs origines protestantes et pour lesquels l’appellation « poète protestant » est de toute évidence inappropriée. Les poètes « protestants » sont plutôt à chercher du côté des pasteurs comme Edmond Jeanneret (1914-1990, suisse), Henri Capieu (1909-1993), jusqu’à Jean Alexandre (1937-), etc. ou des théologiens comme Jacques Ellul et surtout Gabriel Vahanian, dont toute l’œuvre pourrait être perçue comme un grand poème en prose. Enfin, une étude approfondie mériterait d’être menée au sujet de la poésie protestante au féminin (Monique Laederach, Jacquette Reboul, Sylvie Reff, Lytta Basset, Francine Carillo, etc.).