Brève histoire des liens entre protestantisme et poésie de langue française (2/3), d’Henri IV aux Articles organiques (Napoléon).
Abjurations sous l’édit de Nantes (1598-1685)
L’Edit de Nantes (1598) marque une rupture importante à tous les niveaux de la vie sociale et culturelle. Dans le cas particulier de la poésie, on constate, surtout après la mort d’Henry IV, un phénomène de « professionnalisation », impliquant pour l’auteur soucieux de se consacrer à son art, la recherche d’un protecteur, d’un mécène, en l’occurrence, eu égard au climat de l’époque, une personnalité catholique. Au XVIIe siècle, les abjurations furent nombreuses chez les poètes de famille protestante. A la suite des « pionniers » Jacques Davy Du Perron et Jean de Sponde (déjà cités), abjurèrent – le plus souvent pour des raisons liées à la « carrière » : Antoine Girard, sieur de Saint-Amant (1594-1661), François de Malherbe (1555-1628), Isaac de Benserade (1613-1691), François Le Metel Boisrobert (1589-1662), Théophile de Viau (1590-1626), Paul Pellisson-Fontanier (1624-1693), Charles de Sainte-Maure, marquis de Montausier (1610-1690), etc. Du point de vue protestant, le plus intéressant de ces poètes est sans conteste le délicat Théophile de Viau, persécuté, malgré sa conversion, par les jésuites pour sa conduite résolument « libertine », auteur d’un magnifique poème adressé de sa prison à son frère Paul, rugueux capitaine huguenot.
Exceptions
Cette épidémie d’abjurations connaît quelques exceptions notables. Tout d’abord, l’homme de lettres Jean Ogier de Gombaud (1570-1666), dont les sonnets religieux, témoignage d’une foi (plutôt que d’une théologie) publiquement assumée, constituent le meilleur d’une oeuvre très abondante. Parmi ceux qui refusèrent de se convertir, il convient de citer également Valentin Conrart (1603-1675), homme de lettres influent mais auteur médiocre, proche du pouvoir (Richelieu, Louis XIII), fondateur (avec Boisrobert) de l’Académie française et qui s’attacha à réviser le psautier de Marot et Bèze. Enfin, il y eut un auteur qui suivit une trajectoire singulière pour son siècle : Jean de Labadie (1610-1674), jésuite devenu pasteur, controversé au sein même de sa nouvelle confession, livra une œuvre poétique de haut niveau, tentative d’adapter les exercices de piétés catholiques au protestantisme.
Les sonnets de Laurent Drelincourt
Mais de cette période, il convient de retenir les Sonnets Chrétiens (1677) du pasteur de Niort Laurent Drelincourt (1625-1680), publiés juste avant la Révocation de l’édit de Nantes (1685) qui constituent un sommet de la poésie précieuse, combinant un art poétique raffiné avec une culture théologique inégalée parmi les poètes de son temps. Dernière grande œuvre protestante de l’époque classique, ce recueil de cent soixante sonnets, divisé en quatre sections : Sur la Nature et son Auteur ; Sur diverses Histoires du Vieus Testamens ; Sur diverses Histoires du Nouveau Testament ; Sur diverses Graces et divers Etats, se réfère volontiers aux Pères de l’Eglise, héritage commun à tout le christianisme – les références plus spécifiquement protestantes sont volontairement masquées, pour des raisons de prudence évidentes en ces temps difficiles pour les Réformés – ; l’auteur n’en est pas moins un prédicateur calviniste, marqué par sa lecture de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, et son ouvrage un chef d’œuvre de spiritualité protestante, sans équivalent au XVIIe siècle.
La révocation de l’édit de Nantes (1685)
Le XVIIIe siècle, dont on dit un peu rapidement qu’il ne fut pas propice à la poésie, voit l’émergence chez les protestants d’une poésie populaire, le plus souvent anonyme, témoignant des persécutions subies suite à la révocation par Louis XIV de l’Edit de Nantes : la Complainte véritable des lamentations des pauvres confesseurs qui gémissent dans l’esclavage des galères ou celle sur la mort de François Bénézet, pasteur du désert en sont deux exemples poignants. On peut toutefois considérer que l’élan poétique est brisé ; ni le pasteur Drelincourt, ni Agrippa d’Aubigné, dont la petite fille Françoise (Madame de Maintenon) épousa le persécuteur, n’eurent de descendance littéraire : les grands auteurs huguenots de l’après révocation ne sont plus des poètes, mais plutôt des polémistes exilés comme Pierre Jurieu (1637-1713). Plus tard dans le siècle des Lumières, certains écrits autobiographiques du genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) pourraient relever d’une compréhension contemporaine des genres poétiques. Et l’on se gardera d’oublier Voltaire (1694-1778) dont la Henriade (1723), épopée retraçant la vie d’Henry IV, comprend un récit versifié et détaillé de la Saint-Barthélémy.