Bénédiction des couples homosexuels (UEPAL 2019)

l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine autorise la bénédiction de couples mariés de même sexe (nov. 2019).

(Rabat pastoral. Atelier Couture Us et Costumes, Strasbourg)

Le samedi 16 novembre 2019 à Strasbourg, l’Assemblée de l’Union, instance décisionnelle de l’Union des Églises protestantes (concordataires, luthériennes et réformées) d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), a adopté un texte autorisant les pasteurs à bénir des couples mariés de même sexe.

Travaux préparatoires

Christian Albecker, président de l’UEPAL, a introduit le sujet en rappelant « que les tensions entre une compréhension normative du texte biblique et son application à une société en évolution ont jalonné le christianisme depuis ses débuts. Les questions symboliques et théologiques que soulève la bénédiction des couples mariés de même sexe sont certes importantes – elles ont fait l’objet d’une étude dans l’UEPAL depuis une quinzaine d’années – mais ne sauraient occulter l’essentiel du christianisme, à savoir une même foi dans le Christ vivant. Il a ainsi exhorté l’assemblée à témoigner d’une réelle unité par la diversité. » Le texte portant sur la bénédiction du mariage (publié dans son intégralité à la fin de cet article) a été adopté par 36 voix sur 49.

Pour ce qui est des articles concernant les mariages homosexuels, il ressort que « lorsqu’un couple marié de même sexe veut placer son alliance devant Dieu et sollicite une bénédiction, le pasteur, en accord avec son conseil presbytéral, répondra de manière favorable ou non à cette demande. Et lorsqu’un pasteur ou un conseil presbytéral n’est pas en mesure de répondre favorablement, ils orienteront ensemble le couple vers une paroisse ou un pasteur susceptible d’accueillir leur demande. » Le texte comporte donc une sorte de clause de conscience qui permet, soit à la paroisse (représentée par leur conseil presbytéral), soit aux pasteur.e.s de refuser de bénir les couples homosexuels. Si la paroisse refuse, la bénédiction ne pourra avoir lieu dans l’église de la paroisse en question, mais la paroisse ne peut contraindre son/sa pasteur.e à refuser : la cérémonie devra avoir lieu dans une autre église dont la paroisse accepte le principe de bénédiction de couples homosexuels. A l’inverse, une paroisse peut accepter une telle bénédiction, même si son/sa pasteur.e refuse : c’est alors un.e pasteur.e d’une autre paroisse qui présiderait la cérémonie.

Le texte affirme « que la décision de bénir des couples mariés de même sexe relève des « adiaphora » (éléments non essentiels de la foi chrétienne) et non du « status confessionus » (éléments essentiels de la foi chrétienne). Elle n’est pas une question fondamentale qui remet en cause la confession de l’Évangile de Jésus-Christ, et ne devrait donc pas être un élément de division dans l’Église. » L’avenir proche dira comment les opposants résolus (dont certains ont laissé entendre qu’ils quitteraient l’UEPAL au cas où le texte serait adopté) vont réagir.

Eléments chronologiques

1997-1999. Le Parlement français adopte la loi mettant en place le Pacte civil de solidarité (PACS), ouvert aux couples hétérosexuels et homosexuels.

Février 2004. Le Conseil Permanent Luthéro-Réformé (regroupant les quatre églises « historiques » concordataires et non-concordataires françaises) indique qu’il n’est « pas opportun d’envisager un culte de bénédiction qui entretiendrait la confusion entre couple homosexuel et hétérosexuel. »

Janvier 2009. la Mission populaire évangélique (institution protestante française d’éducation populaire crée à la fin du XIXe siècle, membre de la Fédération protestante de France depuis 1969) considère qu’il est « possible à un pasteur de participer à un geste liturgique d’accueil et de prière pour un projet de couple homosexuel, dans la mesure où il ne s’apparente en aucune manière à une bénédiction de mariage et ne s’impose pas à la communauté locale ».

Mai 2011. la Mission populaire évangélique de France confirme l’autorisation faite à ses pasteurs de « célébrer des bénédictions pour couples de même sexe pacsés et invité ses Fraternités à engager le débat sur le sujet ». Le pasteur Stéphane Lavignotte est la personnalité marquante de ce mouvement inclusif. (La « Miss pop » est pionnière en la matière ; des bénédictions d’unions homosexuelles sont certes prononcées dans d’autres lieux, mais le plus souvent en toute discrétion, fruit d’initiatives individuelles de pasteurs réformés ou luthériens, parfois avec l’accord de leur paroisse).

Mai 2013. Validation par le Conseil constitutionnel et promulgation de la loi autorisant le mariage des couples de personnes de même sexe. (L’Eglise catholique et les églises protestantes évangéliques sont fermement opposées à la bénédiction de couples homosexuels)

Mai 2013. Création par le pasteur Christophe Kocher et la théologienne Joan Charras Sancho de l’Antenne inclusive de la paroisse luthérienne Saint-Guillaume à Strasbourg (inauguration « officielle » en septembre 2016, en présence de la pasteure américaine Nadia Bolz-Weber)

Juin 2014. L’UEPAL étudie la possibilité de bénir des mariages homosexuels, mais suite aux tensions générées par la perspective d’une décision, refuse de statuer et se donne « un délai de trois ans avant d’envisager de reprendre cette question en assemblée » (dans les faits, la question sera reprise cinq ans plus tard, en novembre 2019).

Mai 2015. Le Synode de l’Eglise protestante unie de France (EPUDF, les réformés et luthériens de la France hors Alsace-Moselle, non concordataire), réuni à Sète, « ouvre la possibilité, pour celles et ceux qui y voient une juste façon de témoigner de l’Évangile, de pratiquer une bénédiction liturgique des couples mariés de même sexe qui veulent placer leur alliance devant Dieu. » (la décision est prise à une très forte majorité mais crée dans les mois suivants de grandes tensions à l’intérieur même de l’EPUDF et aussi au sein de la Fédération Protestante de France, instance représentative du protestantisme français auprès de l’Etat, qui comprend des Eglises dites « historiques » et des Eglises de type « évangéliques »).

Octobre 2015. Parution aux éditions Labor et Fides de L’Accueil radical. Ressources pour une Eglise inclusive, sous la direction d’Yvan Bourquin et Joan Charras Sancho.

Janvier 2016. Création « officielle » sous forme d’association des « Attestants », mouvement interne à l’EPUDF qui regroupe des opposants de sensibilité évangélique exprimant de « profonds désaccords » avec le texte adopté par l’EPUDF à Sète (figure de proue, le pasteur parisien -paroisse du Marais, puis Belleville- Gilles Boucomont).

Octobre 2017. La direction du Conseil national des évangéliques de France (CNEF, sous la présidence du pasteur baptiste Etienne Lhermenault) se retire du grand rassemblement Protestants en fête (15000 personnes, organisé à Strasbourg avec l’ensemble des composantes du protestantisme français à l’occasion des 500 ans de la Réforme), en raison de la tenue d’un culte inclusif et de la présence d’un stand place Kléber de l’Antenne inclusive de Saint-Guillaume.

Novembre 2019. L’UEPAL adopte un texte autorisant les pasteurs à bénir des couples mariés de même sexe.

La question biblique (en suivant un exposé de Thomas Römer, titulaire de la chaire « Milieux bibliques » au Collège de France, selon les notes prises et publiées par Stéphane Lavignotte : lire le texte complet http://www.reflexion-partage.org/wp-content/uploads/2013/12/Homosexualité-et-Ancien-Testament-par-Thomas-Romer.pdf )

Les débats internes au protestantisme se font tous autour des textes bibliques, avec toutefois des méthodes interprétatives différentes. Pour ce qui est de « Bible et homosexualité », les discussions tournent autour de trois séries de textes de l’Ancien Testament (ce qui est très peu si l’on se réfère à l’ensemble des textes bibliques) : les interdits du Lévitique, le chapitre 19 de la Genèse (Sodome et Gomorrhe) et la relation entre David et Jonathan (Livres de Samuel).

Lévitique 18 : 22 et 20 : 13 (« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fit tous deux une chose abominable ; ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux » Traduction Segond)

Il s’agit de deux versets extraits d’une collection de textes qui provient du VIe ou Ve siècle avant JC, rédigés après la période de l’Exil, probablement à l’époque perse, écrits par le milieu sacerdotal contenant un certain nombre de prescriptions surtout d’ordre cultuel et rituel, préoccupés par la distinction entre le pur et l’impur. Le texte vise ici sans ambiguité l’interdiction d’acte sexuel entre deux hommes, acte puni, théoriquement, par la peine de mort. Thomas Römer fait toutefois remarquer que si l’on se base sur ce texte pour condamner l’homosexualité, il faut aussi prendre en compte toutes les autres interdictions des chapitres 17 à 26 du livre du Lévitique, que personne, même le plus littéral des lecteurs de la Bible ne songerait à appliquer, à commencer par rétablir l’esclavage (sur ce sujet, de manière scénarisée, cet extrait, en version française, de la série West Wing, saison 2, épisode 3 : https://www.youtube.com/watch?v=3t69XCyZmyk&frags=pl%2Cwn ).

Genèse 19 (Sodome et Gomorrhe)

Le texte de Sodome et Gomorrhe, récit de destruction sur intervention divine, est couramment utilisé pour condamner l’homosexualité. Le personnage de Loth, neveu d’Abraham, conformément à la tradition proche-orientale de l’hospitalité, accueille deux hommes étrangers dans sa maison : les habitants de Sodome et Gomorrhe se réunissent devant la maison de Loth en le sommant de faire sortir les deux hommes pour qu’ils les « connaissent », c’est à dire pour les contraindre à un rapport sexuel . Ce qui condamné dans ce texte, selon l’interprétation de Thomas Römer, c’est le viol et la transgression de la loi de l’hospitalité.

1 Samuel 19 : 1 et 20 : 17 ; 2 Samuel 1 : 26 (David et Jonathan)

Thomas Römer considère que le récit de la relation entre David et Jonathan suggère (en se référant à des indices textuels) qu’il y a un peu plus qu’une histoire d’amitié, contrairement à ce qu’affirment nombres d’exégètes (lire l’argumentation détaillée et complexe dans le lien cité plus haut). Mais la question de savoir s’ils ont eu des relations sexuelles ne peut être tranchée puisque l’auteur ne le dit pas expressément.

Conclusion (personnelle)

Avec Thomas Römer, on pourrait conclure assez aisément que la Bible n’est ni un manifeste anti-homosexuel, ni pro-LGBT, ce qui correspond assez bien à la conception d’une partie importante du corps pastoral concordataire (dont l’auteur de ces lignes) qui, non directement concernée par ces débats menés de manière assez vive par les militant.e.s des deux camps (minoritaires) opposés, ne voit pas très bien où est le problème (et donc est plutôt favorable à ce type de bénédictions, d’où l’issue du vote). On ne manquera pas de faire remarquer que les opposants résolus à la décision prise par les Eglises réformées et luthériennes françaises en 2015 puis en 2019 (pour s’en tenir à la stricte discussion portant sur les textes bibliques et donc en omettant ce qui pourrait relever de conceptions homophobes, présentes dans certains débats – l’homosexualité comme maladie, par exemple) se basent sur une lecture de la Bible, en particulier de l’Ancien Testament, qui donnerait une réponse immédiate à une question contemporaine en se basant de manière littérale sur des textes de l’Antiquité qui ne leurs sont pas directement destinés. Les votes « inclusifs » de 2015 et 2019 sont le fruit de longs débats contradictoires, portant en particulier sur les textes bibliques, dans tous les niveaux des « parlements » ecclésiaux respectifs qui permettent, sans obliger qui que ce soit, aux pasteur.e.s de bénir, le cas échéant, les couples homosexuels, rejetés pour des raisons diverses, variées et parfois suspectes, dans TOUTES les autres grandes familles chrétiennes présentes sur le territoire français. Le protestantisme « historique », dans toute sa splendeur vintage débattante, délibérative, et minoritaire.

Document adopté par l’Assemblée de l’Union UEPAL du 16 novembre 2019

1. La bénédiction d’un couple à l’occasion de son mariage

1.1. Le mariage d’un couple est célébré à la mairie ; il entraîne des liens juridiques entre les deux personnes et également des droits et des devoirs, notamment ceux indiqués dans les articles 212 à 215 du code civil.

1.2. La conception protestante du couple conjugal se fonde sur une alliance entre deux personnes à l’image de l’alliance entre Dieu et l’être humain et non pas sur une nécessité naturelle de reproduction. Nos lectures bibliques sont diverses et en tension et reflètent la distance historique et culturelle avec la Bible. La Bible ne parle pas explicitement d’institution du mariage ou de bénédiction religieuse du couple. Elle s’intéresse à la vie du couple, à l’amour de Dieu qui inspire l’amour conjugal et au lien du couple à l’image du lien-alliance de Dieu avec l’humain.

1.3. Cette conception de l’alliance est éclairée par toutes les anthropologies bibliques, notamment celle de la différenciation qui s’exprime dans la différence sexuée. Ces diverses lectures anthropologiques et herméneutiques bibliques sont un enjeu de ce débat et des débats à venir en UEPAL. Elles sont appelées à coexister en fraternité et en communion.

1.4. La conception protestante du couple conjugal est celle d’une alliance au sens d’un contrat entre deux personnes sur la base d’un projet de vie commun. Elle n’est pas celle d’un sacrement. Tout contrat humain peut être rompu ; en cas de divorce, l’Église prend en compte cette séparation et l’accompagne. Une nouvelle relation conjugale pourra bénéficier d’une bénédiction religieuse.

1.5. L’Église parle donc d’une alliance entre deux personnes qui prennent des engagements, expression de leur amour :

1.5.a. l’engagement du respect exprimant la prise en compte de l’altérité ; recevoir l’autre personne dans ce qu’elle est fondamentalement différente de moi ; il s’agit ici de l’altérité dans toutes les dimensions de l’existence : affective, culturelle, sexuée, familiale, professionnelle, spirituelle…

1.5.b. l’engagement d’une relation entière se traduisant par la responsabilité de l’un envers l’autre ; le couple prend en compte toutes les dimensions de la vie conjugale : la fidélité à la parole donnée, le soutien moral, l’assistance matérielle, le respect de la personne, la durée. Le couple a un avenir et un devenir dans le temps.

1.5.c. l’engagement au-delà de la relation à deux énonçant la responsabilité sociétale ; le couple reconnu par la société a un rôle social, il sera partie prenante, engagé dans la construction d’une société solidaire et fraternelle, notamment entre les générations.

1.5.d. l’engagement spirituel s’exprimant par l’ouverture à Dieu ; le couple s’ouvre à la dimension spirituelle et cherche sens et orientation dans la foi chrétienne et la vie communautaire.

1.6. La bénédiction à l’occasion d’un mariage est une parole et un geste qui proclament la grâce de Dieu et qui attestent de sa présence à cette étape de la vie du couple. La bénédiction religieuse n’est ni une obligation ni un droit.

2. L’UEPAL, et la bénédiction des couples mariés de même sexe

2.1. Suite à l’Assemblée de l`Union de juin 2014 qui demandait de poursuivre la réflexion, l’Assemblée de l’Union de novembre 2019 rappelle que :

2.1.a. nous nous reconnaissons sœurs et frères en Christ dans l’écoute de la Parole de Dieu et la célébration des sacrements.

2.1.b. cette communion en Christ est un espace où, en Église et en société, se vivent différentes convictions et pratiques de la foi.

2.1.c. l’unité de l’Église est un don de Dieu donné en Christ. Elle se vit humblement dans la réflexion, la prière commune et par la diversité. L’unité n’est pas remise en cause par une divergence d’opinions relative aux questions éthiques et sociétales, sauf dans des cas extrêmes11.

2.1.d. la décision de bénir des couples mariés de même sexe relève des adiaphora11 (éléments non essentiels de la foi chrétienne) et non du status confessionis (éléments essentiels de la foi chrétienne). Elle n’est donc pas une question fondamentale qui remet en cause notre confession de l’Évangile de Jésus-Christ. Cette affirmation est un défi pour la communion avec des frères et sœurs qui ne partagent pas cette compréhension.

2.1.e. la diversité de l’Église se vit aussi dans le domaine de la bénédiction d’un couple marié de même sexe : coexistent dans l’UEPAL des personnes et des lieux pour lesquels la bénédiction d’un couple marié de même sexe n’est pas envisageable, et des personnes et des lieux où cette bénédiction est envisageable. Cette diversité est une opportunité de cultiver notre communion, une occasion d’approfondir la conception protestante du couple et un espace pour vivre la culture protestante du débat.

2.2. C’est pourquoi, pour la question spécifique qui lui est soumise aujourd’hui, l’Assemblée de l’Union propose que, lorsqu’un couple marié de même sexe veut placer son alliance devant Dieu et demande une bénédiction, le pasteur sollicité en débattra avec le conseil presbytéral :

2.2.a. ils intègreront dans leurs réflexions générales sur le couple les éléments proposés au point 1 ;

2.2.b. ils tiendront compte de la communauté locale et pourront solliciter des personnes ressources de l’UEPAL pour un accompagnement de la réflexion ;

2.2.c. la réponse à une demande de bénédiction d’un couple marié de même sexe donnée en paroisse sera le fruit d’un accord entre le conseil presbytéral et le ou les pasteurs. La réponse pourra être favorable ou défavorable ;

2.2.d. lorsqu’un pasteur ou un conseil presbytéral ne sera pas en mesure de répondre favorablement à une demande de bénédiction d’un couple marié de même sexe, ensemble ils orienteront le couple vers une paroisse et/ou un pasteur susceptibles d’accueillir cette demande.

3. Accompagnement pastoral des situations

L’UEPAL proposera du matériel liturgique de bénédiction pour différentes situations afin de prendre en compte toutes les formes d’engagements évoquées au point 1.