Sept sonnets de Laurent Drelincourt, pasteur à Niort sous l’édit de Nantes. (Image : Philippe de Champagne, ca 1645)
Sur l’agonie de Notre-Seigneur au jardin des olives.
Mon Sauveur, apren-moy le sujet de tes Peines ;
De tes Vœus, de tes Cris, du torrent de tes Pleurs ;
De tes Sueurs de Sang, de tes vives Douleurs ;
Et du mortel Efroy qui se glisse en tes Veines.
Je ne voy point ici de Croix, de Clouds, de Gênes ;
De Sergens, de Bourreaus, ni de Persécuteurs :
Je n’y voy que Respect, qu’Amour, que Serviteurs ;
Et que du dous Sommeil les apas & les chaines.
Du Monde, & de l’Enfer, crains-tu les Légions ?
Tu peus les Anges Saints armer par Milions ;
Et d’autant d’Ennemis faire autant de Victimes.
C’est-Toy, répond Jesus, qui causes mon Tourment :
La Colére du Ciel, que je sens pour tes crimes,
Est le terrible Objet de mon Etonnement.
*
Sur la croix de Notre-Seigneur. Sa cause.
Prodige incomparable, étrange Conjoncture !
Quoy, le Juste, le Saint, le Puissant Roy des Rois,
Est, comme un Criminel, ataché sur le Bois !
Et l’on verra mourir le Dieu de la Nature !
Helas ! je suis l’Auteur des Tourmens qu’il endure.
Pleurez, mes yeux, pleurez, à-l’aspect de sa Croix.
C’est par moy, Grand Jésus ! que réduit aus abois,
Tu soufres cette Mort, si honteuse & si dure.
Oüy, pourquoy détester les Juifs & les Romains ?
Je dois chercher en Moy tes Bourreaus inhumains,
Pour mieus juger du Prix de tes Bontez divines.
Mes Péchez, vrais Bourreaus, ont versé tout ton Sang;
T’ont fait boire le Fiel, t’ont couronné d’Epines ;
T’ont cloüé, Piez-&-mains, & t’ont percé le Flanc.
*
Sur le même sujet. Ses efets.
Qui l’eût jamais pensé ? qui l’eût jamais pû croire ?
L’adorable Jesus, meurtry, percé de Clouds !
Le Soleil éternel, dans l’Ombre la plus noire !
Le propre Fils de Dieu, l’Objet de son courrous !
Je voy, dans cette Mort, d’immortelle Mémoire,
L’Innocent condamné ; le Criminel absous :
La Guerre y fait la paix ; la Honte y fait la Gloire :
Et la Peine d’un seul, est le Salut de Tous.
Anges saints, adorez ces Grandeurs inéfables :
Et vous, aveugles Juifs ; vous, Payens détestables,
Cessez vôtre Blasfême, insolent & moqueur.
Jésus est le Dieu-Fort, dans sa foiblesse extrême :
Sa Croix est l’Ornement & le Char d’un Vainqueur :
Et sa Mort est, enfin, la Mort de la Mort-même.
*
Sur la sepulture de Notre-Seigneur.
Etrange Abaissement ! incroyable Aventure !
L’Immortel est couché dans l’afreus Monument :
Le Roy dont la Grandeur remplit le Firmament,
Est Esclave & captif, dans une Grote obscure.
Quoi, Luy, qui, de son Soufle, entretient la Nature,
Luy, qui donne aus Humains l’Etre & le Mouvement,
Est donc privé de Voix, de Pouls, de Sentiment,
Dans le sejour des Morts, & de la Pourriture !
Mais regarde, Chretien, dans ce même Tombeau,
Du Prince de la Vie un Trionfe nouveau ;
Vois-y briller les traits de sa Gloire immortelle.
Pour ton Salut, il veut, par un dernier Efort,
Dans le Retranchement de cette Citadelle,
Envisager, Combattre, & Terrasser la Mort.
*
Sur le voyage de la Madelene au sepulcre de Notre-Seigneur.
Où t’emporte ton Zéle, aveugle Madeléne !
L’excés de ton Amour a-t-il fermé tes yeus ?
Laisse de ton Projet les Soins injurieus :
Ton travail est sans fruit, ta prévoyance est vaine.
Tu pers, également, ta Dépense & ta Peine ;
Garde, garde pour toy, tes Parfuns précieus :
Et vien plutôt, d’un Pas saintement curieus,
Admirer du Sauveur la Vertu souveraine.
Quoy, tu crains que le Corps du Roy de l’Univers
Soufre la Pourriture, & soit rongé des Vers !
Songe à sa Pureté, songe à son Origine.
Jésus, le Saint de Dieu, bannissant ton Erreur,
Parfume le Tombeau de son Odeur divine :
Et lors-qu’il y descend, il en ôte l’Horreur.
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Sur la resurrection de Notre-Seigneur. Sa pompe.
Le voicy, le Grand Roy, le Sauveur glorieus ;
Le Soleil de Justice, en sa Course nouvelle ;
Le Tout-Puissant Jésus, qui sort Victorieus,
Du ténébreus Cachot de la Grote mortelle.
Les Anges, descendus de la Voûte des Cieus,
Pour assurer ma Foy, pour embraser mon Zéle,
Viennent, pleins d’alégresse, en Habits radieus,
Honorer du Seigneur la Pompe solennelle.
La Terre en est émuë, & l’Astre aus blons cheveus
Sort de l’Onde, à-grand-hâte, & prend de nouveau Feus,
Au lever du Soleil dont il est la Peinture.
Ouvrez-vous, tous mes Sens ; voyez icy, mon Cœur.
L’Intérêt de Jésus y porte la Nature :
Mais c’est pour mon Salut que Jésus est Vainqueur.
*
Sur le même sujet. Ses efets.
En vain, Grote funébre, où mon Sauveur sommeille,
Tu prétens, pour-toûjours, l’enfermer dans ton Fort :
Ce mystique Sanson à-minuit se réveille ;
Et brise, à son Réveil, les portes de la Mort.
Son agréable Voix vient fraper mon oreille :
Il parle dans sa Grote, au moment qu’il en sort :
Il m’aprend de sa Croix la Vertu nompareille ;
Et, par ses doux Accens, il assure mon Sort.
A vous, Chretiens, dit-il apartient ma Victoire.
Ma Victoire est, pour Vous, le Gage de la Gloire :
Et mes sanglans Combats vous ont aquis la Paix.
J’ay terrassé la Mort ; vivez en Assurance.
J’ay satisfait pour vous ; voyez-en les Efets :
En sortant du Tombeau, j’en montre la Quitance.