Une rencontre avec Philippe Gaudin

Phillipe Gaudin est directeur de l’Institut d’Etudes des Religions et de la laïcité.

Quel est votre parcours professionnel ?

Je suis professeur de philosophie de formation, j’ai enseigné en terminale et en classe préparatoire, en province, en banlieue parisienne et à Paris, notamment à l’institut des Jeunes aveugles. J’ai rejoint en 2005 l’Institut Européen en Sciences des Religions (IESR) qui avait été créé en 2002 en tant que « centre de formation et de recherche fondamentale et appliquée au sein de l’Ecole Pratique des hautes Etudes. Cet institut avait été créé sur les recommandations du rapport de Régis Debray sur L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ; il est devenu l’Institut d’Etudes des Religions et de la Laïcité (IREL) en 2021.

Quelles sont les missions et activités de l’IREL ?

Il y en a trois principales. C’est un centre de ressources, qui publie et diffuse des travaux de recherche, un centre d’expertise, qui anime des colloques et séminaires, et un centre de formation, qui intervient auprès de partenaires publics et privés. J’ai pu animer des formations sur le fait religieux et la laïcité à destination de magistrats, du personnel pénitentiaire, je suis également intervenu à la demande de mon ami Brice Deymié auprès des aumôniers des prisons du culte protestant.

Quelles expériences du monde pénitentiaire vous ont marquées ?

J’ai participé en 2011 en tant qu’enquêteur de terrain à une étude sur la religion en prison. J’ai pu effectuer un stage d’un mois à la maison centrale de Poissy, où j’ai mené des entretiens avec le personnel pénitentiaire, du directeur jusqu’aux surveillants, auprès des détenus, et j’ai pu assister comme observateur aux cultes musulman, protestant, catholique. Les entretiens étaient très ouverts, ils commençaient par la question : « Pour vous, la religion, c’est quoi ? »

Qu’avez-vous retiré de ce parcours professionnel ?

On ne comprend pas toujours en France qu’il est légitime de se sentir religieux, d’éprouver un sentiment de foi, car on confond la liberté de conscience et des cultes avec la nécessité de l’abstention de tout discours sur le sujet. Il est impératif de changer le regard de la société sur la religion et la laïcité. Comme l’a dit Régis Debray, il faut passer d’une laïcité d’abstention à une laïcité d’intelligence, dans le sens où l’on doit se lancer dans l’aventure de la connaissance mais aussi où l’on doit vivre en bonne intelligence avec son voisin, quand on entretient avec lui une relation apaisée, même si l’on ne partage pas ses points de vue.

Vous avez également étudié le phénomène de la radicalisation ?

Je fais partie d’un groupe d’étude informel du ministère de la justice, qui étudie les dossiers des détenus incarcérés pour association de malfaiteurs terroristes en lien avec la radicalisation islamique. Ce qui m’a frappé est certes qu’il y a des individus d’origines différentes mais que tous ont une quête identitaire prégnante, du fait de la migration, de la rupture des liens familiaux et des transmissions symboliques, psychologiques et culturelles. Ils ont perdu leur « gangue familiale » ou ne l’ont jamais eue et se trouvent très vulnérables sur le plan spirituel et psychique. Le message radical leur offre la possibilité de se reconstruire une identité, de retrouver un groupe d’appartenance, se marier et fonder une famille pour certains. Malheureusement, ils rencontrent aussi et souvent en même temps ceux qui les font passer de la radicalité à la violence. En raccourci, on constate que plus les échecs sont nombreux dans leurs parcours de vie, sur le plan scolaire, professionnel, familial, affectif, et plus leur engagement risque de devenir violent. Marx disait de la religion que c’est l’opium du peuple, mais quand l’on étudie les radicalisés, on constate quelle peut être aussi la cocaïne des humiliés.

Comment comprendre le rôle des aumôniers vis à vis l’administration pénitentiaire ?

Ma définition personnelle de la religion en la matière est qu’elle est une pédagogie de l’obéissance à un message, un ordre reçu, qu’il soit cosmique et/ou moral, mais qu’elle est en même temps une pédagogie de l’indignation à l’égard de tout ce qui défigure l’homme. D’où peut-être l’ambivalence du travail des aumôniers pénitentiaires.  Ils sont une précieuse ressource pour les détenus en souffrance, et comme j’ai pu l’entendre de la bouche de certains membres de l’administration pénitentiaire « la religion, ça calme les détenus ». Mais d’un autre côté, ils doivent être les témoins d’un « ailleurs », physique et métaphysique, irréductible aux besoins de la société et de toute administration.