Un détenu qui choisit de suivre Dieu (2ème partie)

La surpopulation fait que dans une cellule de 10 mètres carrés, nous sommes parfois deux
avec des lits superposés, sinon deux lits au sol.

Il y a une ·armoire à trois étagères, une table d’un mètre de longueur, un WC, un lavabo, une douche (dans les prisons les plus récentes) et une chaise pour deux personnes, parfois deux. Il y a un réfrigérateur si l’installation électrique le permet, ce qui n’est pas fréquent, ainsi qu’une télévision. Nous devons payer un abonnement mensuel pour le réfrigérateur et la télévision. Parfois, ue troisième codétenu pose son matelas directement sur le sol pour dormir, ce qui laisse seulement 1,5 mètre sur 0,5 mètre pour se déplacer du lit à la porte.

Si nous tombons malades, pour consulter un médecin, il faut écrire à l’unité sanitaire. Une infirmière nous reçoit, mais il faut attendre au moins une semaine, puis encore une à deux semaines pour voir le médecin qui nous prescrira des médicaments pour la journée, s’ il en a, sinon rien. Pour une grippe avec fièvre, irritation de la gorge et rhume, j’ai reçu 10 Doliprane de 500 mg et du sérum physiologique. En ce qui concerne le dentiste, j’ai connu un détenu qui a dû attendre trois semaines avec une forte rage de dents. Personnellement, je me suis cassé une dent il y a plus de deux ans, et malgré plusieurs courriers, je n’ai pas eu de rendez-vous. En règle générale, il faut attendre plus d’un an pour avoir un premier rendez-vous avec un psychologue, et par la suite, les rendez-vous durent maximum 15 minutes et ont lieu seulement tous les 15 jours au mieux voir une fois par trimestre. Je décris cela pour témoigner de mon quotidien et non pour me plaindre des conditions. Dans d’autres prisons, les conditions de vie sont bien plus difficiles et insalubres, rendant l’incarcération insupportable.
Dans mon cas, j’ai pu consulter un psychiatre assez rapidement, car ma situation était très critique. Ne sachant pas ce que l’avenir me réservait, je me sent ais extrêmement mal dans ma peau. Je ne voyais aucune raison de vivre et je supportais très mal ma détention, au point d’envisager de mettre fin à mes jours. Je n’avais plus aucun espoir de retrouver une vie heureuse, même après ma libération. J’ai donc entamé une grève de la faim et de la soif dans l’intention de mourir. Je pensais que même Dieu m’avait abandonné. Au bout de deux jours et demi, j’ai été envoyé chez le médecin qui a décidé de m’hospitaliser en unité psychiatrique. Là, j’ai rencontré quatre psychiatres qui ne me posaient qu’une seule question : «Pourquoi êtes-vous incarcéré ? » Il était évident qu’ils ignoraient mon désir de
mourir, qui, pour moi, n’était pas lié à mon incarcération, mais à un désespoir total. Les conditions d’hospitalisation étaient strictes : j’étais attaché aux chevilles, au ventre et aux poignets pendant 23 heures et 45 minutes par jour, avec seulement 15 minutes de détachement pour prendre une douche. Je n’avais pas le droit à la télévision, ni à des livres
ni à aucune autre occupation. Les psychiatres me disaient que j’étais là uniquement pour réfléchir, et que si je persistais à refuser de manger et de boire, ils me perfuseraient de force malgré mon refus exprimé par écrit.
Au bout de trois jours et demi de grève de la faim et de la soif, une très faible lueur d’espoir a traversé mon esprit (une lueur d’espoir qui, en plus de trois ans, ne s’est pas réalisée et qui ne se réalisera probablement jamais). J’ai alors renoncé à l’idée de ne pas boire et de ne pas manger, m’accrochant à cette unique lueur d’espoir pour survivre dans le monde carcéral.


La «gamelle» (pas celle du chien) est servie deux fois par jour, mais el le est souvent insuffisante voire immangeable. Par exemple, il m’est arrivé de recevoir une petite portion de chou-fleur, d’environ 50 g, et une autre fois juste un yaourt nature. Sans argent provenant de l’extérieur ou d’un travail (j’y reviendrai plus tard), il est impossible de compléter sa ration alimentaire, de «cantiner» .«Cantiner» consiste à acheter de la nourriture, des articles
de toilette, des vêtements, du tabac, des timbres, des blocs-notes, des stylos et des produits d’entretien. On nous fournit seulement quatre rouleaux de papier toilette, deux bouteilles de 12 cl de javel et deux éponges. Un rouleau de sacs poubelles est fourni chaque mois, mais souvent seulement un mois sur deux. Le délai de livraison des « cantine » varie de 8 à 11 jours. Nous ne pouvons passer commande qu’une fois par sema ine, et les choix en termes
de diversité et de quantité sont très limités. Par exemple, il n’y a qu’une seule variété de
jambon et seulement quatre tranches par semaine. J’ai eu mon premier parloir de 30 minutes au bout de quatre mois, mais certains détenus n’ont pas cette chance car les parloirs leur sont refusés ou leur famille habite trop loin. Un
détenu a dû attendre plus de trois ans avant d’obtenir une autorisation de parloir. Pour se rendre au parloir, nous passons trois fois sous les portiques de sécurité et sommes soumis à palpations. Au retour, nous sommes soumis à une fouille intégrale ou une palpation, ainsi qu’aux trois portiques. Pendant le parloir, nous sommes surveillés à travers une vitre et parfois écoutés. Du côté du visiteur, il doit arriver à la prison 1 h30 avant le parloir, attendre à l’extérieur (même sous la pluie}, passer par un contrôle de sécurité comprenant vérification de l’identité et passage sous un portique ou un scanner. Si le détecteur se déclenche à trois reprises en raison de clés, de monnaie ou d’un vêtement contenant du métal (par exemple, certains jeans ou soutien-gorge), le parloir est annulé. Les familles doivent être motivées pour endurer tout cela, car parfois il peut y avoir la présence de chiens détecteurs de nourriture ou de drogue, ce qui peut entraîner une fouille, voire une garde à vue, et une éventuelle suspension des parloirs pendant un à trois mois. J’ai la chance qu’un de mes anciens pasteurs me rende visite au parloir chaque mois, ce qui m’est d’une grande aide,
surtout au début quand je me sentais très mal dans ma peau et démoralisé. Il a également contribué à mon retour vers Dieu. Le travail en prison est une opportunité, car il n’y a pas suffisamment de postes pour tout le monde et la plupart des emplois sont réservés aux détenus condamnés (ceux qui ont déjà passé en jugement et éventuellement finit leur
appel). Les procédures judiciaires peuvent prendre de deux à huit ans, voire plus.


J’ai été jugé après deux ans et demi et je n’ai pas fait appel. Pour ceux qui sont en détention provisoire (non condamnés), les emplois les moins valorisants sont accessibles. J’ai pu commencer à travailler au bout de sept mois, ce qui me rapporte environ 155 € pour environ 100 heures de travail par mois. Cependant, un poste n’est jamais acquis, on peut être «déclassé» et renvoyé de son poste pour diverses raisons telles qu’une production
insuffisante, des lacunes professionnelles, des bagarres ou des trafics. Parfois, les motifs de renvoi sont moins légitimes, comme trois retards, trois absences ou une maladie, simplement parce qu’un surveillant ou un gradé ne nous apprécie pas. Naturellement, ce n’est pas le motif réel invoqué, ils en inventent un autre. Dans ce cas, il faut attendre une
période indéfinie et variable, allant de quelques mois à plus d’un an, avant de pouvoir recommencer le processus de la commission et être autorisé à travailler à nouveau.
Les premiers mois, mes seules activités étaient la promenade quotidienne de deux heures (dans certaines prisons, ce n’est qu’une heure par jour) et l’accès à la bibliothèque une fois par semaine, pour les emprunter. Pour pouvoir travailler, il fallait l’accord du juge et passer par une commission qui se réunissait une fois par mois. Cette commission autorisait les postes auxquels un détenu pouvait être affecté, et seulement alors pouvions nous postuler,
mais uniquement pour l’un des postes autorisés qui devait être vacant. Si nous n’étions pas sélectionnés, nous pouvions postuler pour un autre poste (ou le même) lors de la commission du mois suivant, et ainsi de suite.

J’ai pu commencer à participer à des activités sportives collectives, deux heures et demie une fois par semaine, et j’ai commencé à voir régulièrement un psychologue au bout de quatre mois. Cependant, la plus grande difficulté était cette envie de mourir qui ne me quittait pas. J’y pensais une dizaine de fois par jour, j’avais l’envie de me suicider cinq fois par jour, mais je me retenais de le faire deux fois par jour. Cet état d’esprit a duré plus de
trois ans.