Une rencontre avec Pierre Alexandre Gloaguen, visiteur de prison à la maison d’arrêt de Brest

« J’étais en prison et vous êtes venus à moi », Matthieu, 25/36.

Comment êtes-vous devenu visiteur de prison ?

P-A G. J’étais dans un parcours d’alcool. Je voulais en sortir et me reconstruire. A l’époque, la médecine ne se préoccupait pas de cette question pour proposer une aide. J’ai découvert l’association Alcooliques Anonymes. Leur méthode repose sur deux concepts, l’entraide mutuelle et la notion du recours à une puissance supérieure. J’ai eu la chance d’assister à l’un de leurs congrès où nous étions 81000 participants, provenant de cinquante-deux pays différents, réunis dans un même stade. Dans un même temps, j’avais découvert le protestantisme. Je suis sorti de l’alcool par la grâce de Dieu et ce que je suis aujourd’hui « c’est par la grâce de Dieu » (I Cor. 15.10). Je ne peux expliquer autrement qu’un jour, j’ai été délivré de cette obsession de boire. J’ai alors ressenti la nécessité pour moi-même mais aussi la responsabilité de témoigner de ce changement qui s’est opéré en moi. L’association Alcooliques Anonymes m’a demandé d’être au bureau justice France. Ce bureau était très focalisé sur l’accompagnement des personnes détenues et tous ses membres étaient visiteurs de prison. Je leur ai dit que, dès que je serai en retraite, je serai visiteur. Ce que j’ai fait en 2006. Je suis donc visiteur de prison depuis dix-sept ans.

Qu’est-ce qu’un visiteur de prison ?

P-A G. Du fait de mon parcours personnel, je suis non seulement rattaché à l’ANVP, comme tous les visiteurs de prison, mais aussi à l’association Alcooliques Anonymes. Je suis visiteur spécialisé dans l’addiction à l’alcool. Nous travaillons en lien très étroit avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui nous adresse les personnes qui souhaitent parler avec quelqu’un de leur difficulté. Ceux que je rencontre reviennent en prison parfois pour la troisième ou la quatrième fois pour des faits de violence similaires liés à l’alcool. Le premier changement doit être dans la tête. Il faut mettre autre chose à la place de l’alcool, avoir un projet de vie qui procure du sens et de la joie.

Comment engagez-vous le dialogue ?

P-A G. De la sortie de ma voiture jusqu’au franchissement de la dernière porte de la prison, je prie et demande à Dieu de me donner l’écoute, le silence, l’attitude sans jugement, les mots. Les entretiens durent en général quarante minutes. Je tente d’établir un lien de confiance avec eux. Nous échangeons sur la réalité de la vie du détenu, le vécu de l’intérieur, les liens avec sa famille, ses enfants. Je me présente comme un ancien alcoolique qui ne boit plus. L’alcool est très peu présent dans nos discussions. Mais, plus la sortie approche, plus la crainte de récidiver se fait sentir. Nous cherchons alors ensemble la meilleure solution pour en sortir. Par exemple, je peux orienter tel détenu vers une structure en lien avec les hôpitaux, l’agence nationale de prévention de l’alcool.  

Etant protestant et tenu à l’obligation de neutralité – qui contraint à ne pas faire état de ses convictions -, n’êtes-vous pas frustré de ne pas parler de votre foi ?

P-A G. Pas du tout. Je dis seulement que je suis protestant. Dans mon témoignage sur la sortie de l’addiction, selon la méthode des Alcooliques Anonymes, j’explique le recours nécessaire à une puissance supérieure. A cette occasion, je dis clairement que celle à laquelle je crois est Dieu et que c’est Dieu qui, par pure grâce, m’a sorti de l’alcool. Pendant l’incarcération, parfois, je suis témoin de changements de vie de certains détenus. Je vois la grâce à l’oeuvre. Un détenu, entre 45 et 50 ans, me dit : « j’en ai marre d’avoir marre. Je veux essayer de mener ma vie différemment ». Parfois, après la sortie, j’ai des retours. Je transmets le message mais le résultat ne m’appartient pas. Il faut avoir la force morale de renoncer à vouloir changer la personne mais laisser les choses émerger d’elles-mêmes. Être visiteur de prison requiert à mes yeux de développer une qualité première: l’humilité. Pour moi, accompagner un détenu, c’est tenter d’accompagner un possible changement (métanoia ou catharsis) qui peut naître ou renaître dans la personne que je vois. Ce faisant, elle sera plus armée pour reconstruire peut-être une autre vie. Je fais miennes ces paroles :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.

Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service.

Je servis et je compris que le service est joie. » Rabindranàth Tagore Les quelques 1400 visiteurs de prison en France sont tous rattachés à l’ANVP – association nationale des visiteurs de personnes sous mains de justice -. Leur statut est défini par le code pénitentiaire qui prévoit qu’ils « contribuent, bénévolement et en fonction de leurs aptitudes, particulières, à la prise en charge des personnes détenues signalées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, en vue de préparer leur réinsertion en leur apportant aide et soutien pendant leur détention. » (article D. 341-18 du code pénitentiaire). Travaillant en étroite collaboration avec les SPIP, ils ne disposent pas de la même autonomie que les aumôniers de prison. Notamment, ils ne peuvent rencontrer que les personnes que les SPIP dirigent vers eux et ne peuvent pas leur rendre visite dans leurs cellules. Tenus à l’obligation de neutralité – qui consiste à ne pas faire état de ses convictions religieuses ou autres -, ils ne peuvent engager un dialogue sur la foi. Seuls les aumôniers de prison ont le monopole de l’accompagnement spirituel. Comme ces derniers, ils reçoivent un agrément accordé par le directeur interrégional des services pénitentiaires, mais qui est limité à deux ans renouvelable, alors que celui des aumôniers ne connaît pas d’autre limite que celle d’avoir atteint l’âge de 75 ans. (articles R. 341-17 à D. 341-21 du code pénitentiaire).