Il est maintenant admis qu’il n’y a pas de « profil type », pas de « portrait-robot » du radicalisé.
Il existe autant de processus et causes de radicalisation que de radicalisés eux-mêmes. Sans aucune prétention à l’exhaustivité, quelques exemples pointent la complexité et la variété d’un phénomène encore mal compris.
Une ruse pour se protéger
Un imam d’une maison d’arrêt a rencontré un jeune homme de vingt ans au quartier des arrivants, dont il savait qu’il était fragile et menacé par les autres détenus, car auteur d’agressions sexuelles répétées. Quinze jours plus tard, l’imam demanda à revoir le jeune homme, mais le surveillant lui répondit : « il est perdu. Il s’est laissé pousser la barbe, s’habille en noir et il a rejoint les barbus». Le surveillant expliqua que le jeune avait fait cela pour qu’ « ils le protègent », en échange de sa soumission à leur cause. Ce type de radicalisation ne doit pas grand-chose à la foi musulmane, mais est l’exact équivalent d’un recrutement de type mafieux : la protection en échange de la soumission.
La compensation d’une personnalité fragile
L’image véhiculée par les médias du radicalisé est celle d’un personnage inquiétant, qui inspire un mélange de crainte et de respect. Pour certains jeunes en grande fragilité narcissique, la radicalisation permet de construire pour son usage personnel une image socialement marquante. Ce père de famille de trente ans, en surpoids et à l’aspect pataud, a confié son histoire sans aucune réticence : « En fin de collège, je ne voulais plus aller en classe, j’étais toujours la victime, celui qu’on chahutait pour le plaisir. Et puis un voisin qui m’aimait bien m’a pris sous son aile, et avec lui, j’ai recommencé à sortir. Je me suis converti à l’Islam par amitié. Des années après, il a commencé à prêcher, il recrutait pour aller se battre en Syrie. Moi, je venais de me marier, j’avais un boulot, ma femme m’a interdit de partir. Et puis mourir à la guerre, ça ne me disait rien. Mais tout le monde savait que j’étais son pote. Alors je faisais exprès de me balader dans la rue, habillé en noir, sans me raser, je provoquais les gens par le simple regard, on se détournait de moi, les gens avaient peur, je me sentais puissant, je n’avais jamais connu ça ».
La quête d’une purification des souillures subies
Madame X. a subi des violences physiques de la part de trois de ses frères, qui lui reprochaient de vouloir s’émanciper et de trahir le code d’honneur familial qu’ils avaient établi ; elle a également subi des violences sexuelles de la part d’un oncle. Pour fuir une situation d’une extrême détresse, elle s’est intéressée aux vidéos de propagande de l’Etat islamique. Elle pensait qu’en Syrie, elle pourrait faire des activités humanitaires tout en bénéficiant de conditions de vie agréables. Elle était particulièrement sensible aux arguments religieux, qui disaient qu’une pratique rigoureuse de la religion lui permettrait de se laver des souillures physiques et sexuelles qu’elle avait subies dans sa famille.
Arrivée en Syrie, elle fut mariée de force à un combattant, qui, comme ses frères, la traitait sans aucun respect. Ayant perdu toutes ses illusions sur la prétendue pureté de l’Etat islamique, elle put revenir en France, prétextant qu’elle y retournait pour aller chercher ses jeunes sœurs qui voulaient la rejoindre.
La sortie de l’addiction
A l’âge de dix-neuf ans, ce jeune breton de naissance et ses complices ont voulu rejoindre l’Etat islamique. A son arrivée en détention, il se montrait virulent, défendant avec passion la cause de l’Islam et la pureté de la religion contre un monde laïc et corrompu. Il expliqua de façon très claire et détaillée sa conversion à l’Islam, qu’il mettait en lien avec son passé de dépendance à l’alcool et à l’héroïne, comme étant une autre vie à laquelle il a renoncé. Lorsqu’il fut rencontré à nouveau un an plus tard, il discuta de façon beaucoup plus posée, sans agressivité. Il expliqua qu’il ne cautionnait plus ce qui se passait en Syrie, que Daesh avait commis des crimes en contradiction avec l’Islam. Il était maintenant préoccupé par le sort des Rohingyas en Birmanie, et, à sa sortie, souhaitait aller les aider. Pour ce jeune converti, le principe de l’engagement humanitaire est plus important que la nature de la cause ciblée. Que l’engagement soit pour Daesh ou les Rohingyas importe peu, ce qu’il recherche est une cause spirituelle suffisamment chargée de sens pour qu’elle le tienne solidement et lui donne la force psychique de ne pas retomber dans la toxicomanie.
Une vengeance et une provocation
Un détenu de trente-cinq ans, fiché au grand banditisme racontait à qui voulait l’entendre l’histoire de trois copains de sa cité, écroués dès leur premier braquage. « C’était des blaireaux, ils ne savaient pas comment s’y prendre, ils ont menacé le type d’une arme et lui ont tordu le bras, tout ça pour trois cents euros. Ils ont pris sept ans chacun pour violence et séquestration. Je les connaissais, on a grandi ensemble. La religion, ils s’en foutaient. En fait, ils ont commencé à se radicaliser en prison pour faire chier les surveillants ». La conclusion de cet expert en criminalité est sans appel : « L’islam, ce n’était rien pour eux. Ils ont raté leur vie de délinquance, ils veulent se venger en provoquant les autorités ».
Prendre en charge les radicalisés et djihadistes passe avant tout par la compréhension des mécanismes psychiques qui les ont amenés à suivre cette voie, après que toutes les autres leurs aient été interdites ou rendues inaccessibles.
Prétendre qu’expliquer, c’est commencer à pardonner ou affirmer que la radicalisation ne se résout que par la police et la prison, ne peut que nous ramener à un temps d’ignorance et de peur, lorsque chacun était convaincu que l’hérésie ne s’éradiquait que par l’Inquisition et la sorcellerie par le bûcher.
Pour aller plus loin : Guillaume Monod, En prison, paroles de djihadistes, Gallimard, 2018, prix de l’Académie des sciences morales et politiques.