Le violeur est l’une des figures du mal de la société, mais il reste une personne et un citoyen.
L’opinion publique est spontanément inclinée à ranger, sans aucune différenciation des uns ou des autres, tous les auteurs dans cette catégorie unique, à laquelle sont attachées de nombreux préjugés et lieux communs.
Le quotidien de la détention montre que ces détenus ont des profils psychologiques et des parcours de vie très variés. Si beaucoup d’entre eux ne présentent pas de trouble mental, certains ont des maladies psychiatriques, d’autres ont des limitations cognitives. Les interroger sur leurs parcours de vie et explorer les mécanismes psychiques qui les ont conduits à leurs actes n’a pas pour but de justifier ni d’excuser leurs crimes, mais de réfléchir à la meilleure prise en charge qu’il convient de faire, en complément de la punition que représente la peine de prison.
Monsieur A, âgé de 24 ans, rapporte qu’une jeune fille, qu’il avait rencontré lors d’une soirée, l’a accusé de tentative de viol, ce qu’il conteste formellement. S’il reconnait avoir essayé de l’embrasser, il nie tout acte sexuel. Le lendemain, les frères et amis de la jeune femme sont venus sur son lieu de travail pour venger la victime. Ils ont pris un bâton pour le sodomiser avec, lui criant au visage : «Voilà ce que tu lui as fait». Monsieur D. est allé porter plainte au commissariat, et il a été incarcéré. Il a appris par son avocat que la victime n’a déposé plainte qu’après qu’il ait été lui-même agressé, et qu’une enquête a été ouverte contre ses assaillants, qui sont restés en liberté.
Monsieur B, âgé de 25 ans, a été incarcéré à la suite d’une plainte pour viol, mais il évite d’aborder le sujet chaque fois qu’il est évoqué. Il accepte avec réticence de parler de son entretien la veille des faits reprochés avec un conseiller de la mission locale, qui lui avait conseillé de consulter un psychiatre. Il précise que sa famille lui dit la même chose depuis quelques temps. Puis, après beaucoup d’hésitations, il évoque un séjour en hospitalisation dans un service de psychiatrie quelques années auparavant. Joint au téléphone, le psychiatre indique au service médicale de la prison que ce monsieur est schizophrène, suivi par leur service depuis quelques années.
Monsieur C, âgé de 37 ans reconnait tous les faits de viol sur sa belle-fille de 12 ans, qui lui sont reprochés. Il décrit que cela a commencé par des chatouilles, puis des caresses et des attouchements. Il dit avoir essayé de la pénétrer à deux reprises, mais il ne comprend pas pourquoi, car «il ne supporte pas la vue du sang». Il rapporte les faits de façon précise, manifeste beaucoup d’émotions, il pleure fréquemment, exprime ses regrets pour la victime.
Puis il finit par parler de sa vie passée. Il est originaire d’un pays d’Amérique latine, dont il accuse le président d’être lui-même un narco-trafiquant. Il évoque son addiction au crack entre 14 et 26 ans, puis sa rencontre avec un prêtre qui l’a sauvé, et de ses engagements bénévoles dans son pays pendant de nombreuses années pour la prévention de la toxicomanie et de la lutte des violences faites aux femmes. Il l’aurait quitté pour venir en France à la suite de menaces de morts du fait de ses activités de bénévolat.
Monsieur D, âgé de 41 ans est marié, père d’une adolescente de 11 ans, comptable en entreprise. Son épouse est incarcérée comme lui, pour les mêmes faits, qui sont d’avoir diffusé des images pédopornographiques de leur fille, et de l’avoir fait participer à leurs ébats sexuels. Monsieur B. décrit sans aucune gêne, mais sans aucune provocation non plus, leur vie de «couple libertin» et leur fréquentation des clubs. Il explique que sa femme et lui assument leur sexualité, qu’ils s’étaient fixé des règles, notamment de n’avoir jamais laisser leur fille avoir des rapports sexuels avec quiconque autre qu’eux deux.
Monsieur E, âgé de 55 ans, a été suivi pendant l’enfance par des services éducatifs et de pédopsychiatrie. Depuis sa majorité, il ne sait ni lire ni écrire, il a le statut d’adulte handicapé, est pris en charge par un ESAT (établissement et service d’aide par le travail), où il a rencontré son épouse. Il affirme être innocent de l’accusation de viol portée contre lui. Il explique que la victime est une autre personne prise en charge dans le même ESAT que lui et son épouse, et que la victime aurait cherché à se venger car il a refusé ses avances.
Monsieur F, âgé de 65 ans, a fui la France il y a 20 ans, la veille du jour où devait s’ouvrir son procès aux assises, pour viol sur son employé de maison. Il s’est réfugié à l’étranger, prétextant que «j’avais le sentiment que je n’aurais pas un jugement équitable». Une dizaine d’année après, il a été arrêté et jugé dans son pays de résidence à la suite du viol de la fille de son employée de maison. S’il reconnait une partie des faits qui lui sont reprochés, il laisse néanmoins sous-entendre qu’il serait à chaque fois «tombé dans un piège» pour le faire chanter. Après 10 ans de détention, il a été renvoyé en France pour y finir sa peine, et pour effectuer celle à laquelle il a été condamné par contumace. Il rapporte après quelques entretiens qu’il aurait été victime d’une agression dans les douches collectives, car «des jeunes ont eu vent de mon affaire».
Si certaines personnes reconnaissent sans hésitation les faits qui leurs sont reprochés et sont demandeurs d’aide, d’autres seront plus réticents, ou bien n’hésitent pas à nier l’évidence. Quel que soit le profil psychologique et le parcours de vie de ces personnes, tous seront libérés un jour ou l’autre à l’issue de leur peine. C’est pourquoi il est indispensable d’aller à la rencontre de ces personnes, de les écouter parler sans aucune naïveté ni aucune condamnation morale, afin de réfléchir aux meilleurs outils de réintégration à mettre à leur disposition.