Par Brice Deymié, aumônier national protestant
XVIIème siècle : l’aumônerie de prison acquiert un caractère officiel
Depuis l’apôtre Paul, on visite les prisonniers d’une manière plus ou moins régulière selon les époques de l’histoire. C’est au XVIIème siècle que l’aumônerie va revêtir un caractère officiel quand, en 1619, le jeune Louis XIII, âgé alors de dix-huit ans, désigne l’abbé Vincent de Paul comme Aumônier Réal des Galères. Dans son acte de nomination, il est écrit que « en ladite qualité de Real, il ait dorénavant égard et supériorité sur tous les autres aumôniers des dites galères ». Figure de légende, il sera le héros d’un film célèbre de Maurice Cloche, Monsieur Vincent, en 1948. Alors qu’il entre dans la galère et qu’il est témoin des premiers coups de fouets sur les forçats, on lui fait dire : « Mon Dieu, ayez pitié de vos malheureux enfants ! Donnez-moi le courage de les aimer comme ils le méritent, pour l’amour de vous. »
Les aumôniers jouaient le plus souvent le rôle d’intercesseur auprès des commissaires des chiourmes. Les aumôniers, prêtres catholiques, étaient, en principe, présents dans toutes les prisons. En fait, beaucoup devaient en manquer si l’on en croit les « Cahiers de doléances » du Tiers-état aux Etats généraux de 1789 qui réclamaient « Que chaque prison ait un aumônier chargé de la conduite et de l’instruction des malheureux qui y sont enfermés. Qu’il soit permis aux prêtres de visiter leurs paroissiens prisonniers ».
A partir de la Révolution française, la peine de prison devient une peine à part entière et non l’attente d’une autre peine. L’aumônerie se transforme et, si la présence des aumôniers est au départ un peu timide, elle se renforce au moment de la Restauration et de la Monarchie de juillet (1815 – 1848). Le règne du moralisme, caractéristique de l’époque, encourage l’Etat à favoriser l’intervention des aumôniers dans les établissements pénitentiaires. En 1816, on rend obligatoire l’assistance à la messe en même temps qu’est donné une place aux autres cultes. Les condamnés non-catholiques étaient orientés vers des établissements spécialisés. Sous l’influence des protestants au gouvernement ou à la chambre des pairs, tels Guizot ou Gasparin, le nombre des pasteurs et des rabbins nommés dans les prisons augmenta. En 1840, une pétition des consistoires protestants circula pour demander la création d’un pénitencier pour les condamnés de la religion réformée. Une colonie protestante pour les jeunes détenus s’est créée à Sainte Foy mais Tocqueville refusa la création de prisons particulières pour adultes arguant du fait que, grâce au futur encellulement individuel, les ministres de chaque culte pourront facilement aller visiter leurs fidèles[1]. On ne trouve des aumôniers protestants à demeure que dans six centrales : Ensisheim, Haguenau, Eysses, Limoges, Loos et Poissy. L’aumônier a, pendant cette période, une place importante dans le dispositif carcéral. On pense que c’est le moyen le plus efficace pour moraliser les détenus. Deux courants de pensées s’opposent cependant : il y a, d’une part, ceux qui défendent l’encellulement individuel et donc le face-à-face du détenu avec lui-même et sa faute et, d’autre part, ceux qui souhaitent que les détenus soient associés collectivement aux différentes pratiques religieuses. Comme le fait remarquer Jacques-Guy Petit dans son livre « Les peines obscures », on ne peut rien savoir du sentiment religieux des prisonniers car toute évaluation sociologique se fonde sur une pratique et, en la matière, la pratique était obligatoire. L’hypocrisie religieuse est souvent dénoncée par les directeurs. Comme l’avis de l’aumônier est demandé pour les propositions de grâce, chacun a intérêt à feindre la dévotion religieuse. D’une manière générale, les observateurs constatent que le rituel en latin et les sermons des prêtres qui portent sur le dogme ne peuvent pas toucher des hommes et des femmes peu instruits. Beaucoup d’enquêtes et de témoignages montrent que les aumôniers à cette époque étaient soit trop âgés, soit trop jeunes et qu’ils ont, en général, échoué dans leur tâche de réformer l’ensemble des prisonniers et de les rendre soumis aux lois de l’Etat. Ces mêmes enquêtes constatent cependant que les détenus des cultes minoritaires semblent plus concernés par les questions religieuses que les catholiques. A l’époque, les pouvoirs publics attendaient beaucoup des aumôniers pour les aider à maintenir l’ordre grâce à la moralisation des prisonniers.
à suivre…
[1] En décembre 1866, sur 18 053 condamnés enfermés dans les centrales, on recense 17 493 catholiques, 463 protestants, 70 juifs et 26 musulmans. (cf. Ces peines obscures, La prison pénale en France 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, p.514. )