Le procès des attentats du 13 novembre 2015 pose la question de la prise en charge des détenus radicalisés.
Structures et personnels dédiés
Pour faire face au phénomène de la radicalisation, l’Administration pénitentiaire a créé des équipes spécialisées, dites « binômes de soutien, » ainsi que des structures dédiées : les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) et les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR).
Les binômes de soutien sont présents dans tous les établissements pénitentiaires et sont composés d’un (ou une) psychologue et un (ou une) éducateur(trice), ils ont pour mission d’accompagner et conseiller les professionnels prenant en charge les détenus radicalisés ou suspectés de radicalisation et de faire une première évaluation clinique.
Les QER accueillent les détenus incarcérés pour des faits de terrorisme, ou bien les détenus de droit commun suspectés de radicalisation, pour une période de quatre mois, afin d’évaluer leur dangerosité, leurs comportements, leurs convictions et baliser la prise en charge individualisée à mettre en œuvre lors du reste de leur peine. Les QPR accueillent les détenus pour des périodes de six mois, et mettent en œuvre les préconisations de QER.
Les professionnels qui interviennent dans les QER et QPR ont des fonctions et missions variées et complémentaires :
- des médiateurs du fait religieux, généralement des imams, aident les personnes à réfléchir de façon constructive et dépassionnée à leurs convictions religieuses
- des éducateurs spécialisés organisent des activités individuelles et de groupe, parmi lesquelles le développement des habilités sociales et la communication non-violente
- des psychologues proposent des prise en charge thérapeutiques individuelles et de groupe, en particulier autour des événements traumatiques passés (deuils, carences éducatives et affectives, toxicomanie, agressions physique et sexuelles pour les femmes, traumas de guerre pour les personnes revenant de zone de guerre)
- des conseillers pénitentiaires d’ insertion et de probation aident les détenus à réfléchir à leurs projets personnels et professionnels de réinsertion et à les préparer
- d’autres intervenants pour des actions ponctuelles
De plus, les unités médicales des établissements pénitentiaires s’occupent des maladies et problèmes de santé (physique et psychique) des détenus radicalisés, comme elles le font pour tout autre détenu de droit commun.
Repères de prise en charge
Les axes principaux du travail pluriprofessionnel sont d’identifier les fragilités psychiques des détenus ; construire un lien de confiance en aidant les personnes à surmonter ces fragilités et traumas ; grâce à ce lien séparer la violence des convictions ; canaliser la violence et instiller le doute dans les convictions idéologiques.
La plupart des détenus radicalisés présentent des fragilité et traumas psychiques, qui sont intimement liés à leur processus de radicalisation. L’exemple le plus probant est celui des femmes djihadistes : environ 2 sur 3 d’entre elles ont été victimes de mauvais traitements physique et/ou d’agressions sexuelles dans leur passé. Pour ces femmes, l’engagement dans le djihad ne se fait pas sur le mode guerrier, comme le font la plupart des hommes, mais sur le mode humanitaire. En partant pour la Syrie afin de venir en aide aux victimes de guerre, ces femmes cherchent aussi à se réparer elles-mêmes, à se purifier des souillures qu’elles ont subies. Identifier et prendre en compte ces traumas est indispensable et permet de construire un lien de confiance durable, qui permettra dans un second temps d’aborder les autres problématiques liées à la radicalisation.
La clé de toute prise en charge repose sur le fait que la violence n’est ni une idéologie ni une maladie psychiatrique, elle est un comportement. Une idéologie transgressive, qu’elle soit politique, religieuse, nationaliste ou de toute autre genre, cherchera à induire par une propagande pernicieuse ce comportement, afin de s’en servir comme outil d’action. C’est pourquoi la prise en charge de ces détenus doit être fondée sur la séparation de la violence, qui est un comportement, d’avec la radicalisation, qui est une conviction.
Le comportement violent peut être canalisé au travers d’activités diverses : éducatives, sportives, culturelles… et faire l’objet d’une prise en charge autour de la communication non violente. Séparer la violence de l’idéologie permet de questionner plus facilement cette dernière. Il ne s’agit pas tant d’expliquer à la personne qu’elle a tort d’adhérer à une idéologie transgressive, que de la faire réfléchir par elle-même aux limitations et paradoxes de son engagement. Plutôt que d’asséner un contre-discours de façon péremptoire, il est bien plus productif d’introduire le doute dans les convictions, afin que la personne suive son propre cheminement de désengagement.
Le travail pluriprofessionnel autour de la radicalisation s’inscrit dans un processus pénal. Il est indispensable que la justice le mène à terme, mais on ne peut pas limiter la prise en charge de la radicalisation à ce seul processus, car le but de la peine n’est pas uniquement de punir mais aussi de favoriser la réintégration sociale. Ce travail de réintégration se fait en tenant compte des fragilités et des blessures qui ont amenées la personne à se radicaliser. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, si ces blessures et carences ne sont pas soignées, il est malheureusement possible (si ce n’est probable) qu’après sa sortie de prison, la personne se radicalisera à nouveau. Elle le fera soit dans le djihad, soit dans toutes autre idéologie qui, à l’image des sectes, accueillera sans aucune condition préalable la personne, avec ses faiblesses et ses besoins.