La télévision dans la prison c’est la possibilité de savoir ce qui se passe dehors, à l’extérieur, rester en contact avec le monde.
Mais c’est aussi pouvoir s’évader, ne plus penser où l’on est, pourquoi on y est et ce que nous réserve le futur, la sortie. Elle est souvent allumée 24 h sur 24, c’est une présence. Que le détenu soit là ou non, elle parle, elle remplit le vide, le silence, couvre les cris des voisins, elle endort, elle hypnotise, elle abrutit. Si elle vient à rendre l’âme, c’est la catastrophe, la tension monte. L’administration ne le sait que trop, et elle se dépêche de remplacer le cœur de la cellule avant qu’il y ait la révolution. Régulièrement lorsqu’on entre dans une cellule nous demandons s’il est possible de baisser le volume ou même d’éteindre la télé afin de pouvoir avoir un entretien digne de ce nom. Pour certains c’est inconcevable.
La télévision a fait son apparition en prison à la fin des années 1980. Cette apparition avait suscité de nombreux commentaires comme : « les prisons deviennent des étoiles cinq étoiles », « on récompense les détenus, au lieux de les punir », « ce sont nos impôts qui payent ça ». A chaque petite amélioration du quotidien de la vie carcérale, ce sont toujours les mêmes commentaires qui reviennent. Pourtant, l’administration pénitentiaire avait accueilli avec bienveillance cette nouveauté, expliquant qu’elle avait beaucoup contribué à l’humanisation des établissements et à la diminution des tensions entre détenus et surveillants. Certains avaient même parlé de la « camisole cathodique ».
La télévision en cellule, ça peut aussi être une source de problèmes. Certains se couchent tôt, d’autres aiment vivre la nuit. Il y a les amateurs de football et ceux qui ne veulent voir que des séries. Quand deux détenus ne s’entendent pas sur le programme, c’est le plus fort qui gagne. Parfois, il emmène avec lui en promenade la télécommande, pour bien rappeler à son codétenu qui est le chef. Dans les cellules du quartier disciplinaire, la télévision est l’une des rares activités à la disposition du détenu, qui va rester plusieurs jours, parfois plusieurs semaines sans aucun contact avec qui que ce soit, hormis les surveillants. Et si un conflit oppose le détenu et les surveillants, la suppression de la télévision devient une peine supplémentaire. Les télévisions sont peut-être fixées au mur et inamovibles, mais il suffit de retirer le câble d’alimentation pour que l’écran reste désespérément noir.
La prison de Metz a mis en place un canal de télé interne qui fonctionne avec un salarié et des détenus volontaires. En 2018 les détenus avaient demandé à l’ensemble des aumôneries présentes dans la prison de pouvoir faire une interview afin de connaitre les motivations et les activités proposées par chacune d’elles. L’interview avait duré 20 minutes environ. Je ne me souviens plus du contenu exact mais ce que je sais c’est que chaque semaine j’entends dans les couloirs « Ah ! bonjour Mr l’aumônier je vous ai vu à la télé cette semaine. Je pourrais vous voir ? » L’amorce d’une rencontre est faite sans avoir à se fatiguer. Depuis toutes ces années le canal interne informe chaque semaine les détenus sur la possibilité de rencontrer un aumônier afin de faire un bout de chemin ensemble. Les canaux du Seigneur sont impénétrables !