En prison, les rencontres passent par l’attente.
Je passe chez le vaguemestre pour chercher d’éventuels courriers déposés par des détenus. Deux courriers me sont adressés dont le contenu de l’un est « Bonjour, dimanche sera l’anniversaire du décès de mon père. Il était protestant, j’ai été baptisé protestant mais je me considère comme athée. Cependant, j’aimerais pouvoir penser à lui plus personnellement. J’aimerais vous rencontrer afin d’en discuter. Merci » signé « Georges ». Je me rends dans sa cellule pour le rencontrer. L’accueil est chaleureux et rempli d’une attente floue. Georges me raconte comment son père, travailleur acharné, l’avait emmené dès l’âge de huit ans sur les chantiers pour lui montrer ce qu’était le travail, le travail bien fait. C’était sa manière d’exprimer son affection envers son fils mais Georges ne l’a compris que bien plus tard, bien trop tard, après le décès de son père. Il lui a fait la « misère » selon ses termes pendant des années parce qu’il voulait tracer sa route tout seul, comme un grand. La route fut sinueuse et semée d’embûches qui l’ont, entre autres, amené ici. « Mais j’ai changé, j’ai compris ce que mon père voulait me transmettre, j’aimerais qu’il puisse être fier de moi. J’aimerais faire quelque chose pour lui ».
Au cours de cet entretien, nous avons cheminé ensemble afin de trouver ce qui se cache derrière cette demande : la culpabilité, l’envie de se « racheter », de dire merci. Après avoir écarté la possibilité de « faire » quelque chose pour son père disparu (on ne peut changer le passé cependant, on doit construire l’avenir), Georges est arrivé à la conclusion que vivre en suivant les principes simples que son père lui avait inculqué serait la meilleure manière de le remercier et de lui rendre hommage. A la fin de l’entretien, je lui ai proposé de nous tourner vers le Père céleste afin de le remercier de lui avoir donné ce père terrestre qu’il n’a su apprécier que tardivement mais réellement. Georges a accepté, nous avons prié. En le quittant, je l’ai senti apaisé, il avait pu faire un peu de ménage dans son passé.
L’un des maîtres mots du monde carcéral est : attendre, dans toutes ses acceptions. Du matin au soir il faut patienter pour que l’on vous ouvre la cellule puis la dizaine de portes afin de pouvoir vous rendre en classe, au travail, en activité, au parloir. Cela peut prendre quinze à quarante cinq minutes. Parfois on vous oublie. Il faut attendre pour avoir une réponse à une requête ou une demande de rendez-vous plusieurs jours voir plusieurs semaines. Il faut relancer une fois, deux fois, trois fois. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » disait La Fontaine mais c’est dur d’apprendre la patience dans un milieu qui semble hostile.
Il y a aussi l’attente pleine d’espoir : attendre un parloir, la sortie, « ah, je vous attendais ! ». Se préparer à vivre quelque chose de positif, de constructif, de libérateur. Se préparer à reprendre sa vie en main, à repartir sur d’autres bases.
Lorsque j’ai rencontré Christophe la première fois, il était dans l’attitude d’attendre tranquillement que l’incarcération se passe. Au fil des mois, il s’est rendu compte que « tuer le temps » ne lui apportait aucune satisfaction et le « tirait » plutôt vers le bas. Il a décidé de se mettre au service des autres détenus en devenant « auxi » pour la distribution des repas de son étage. Au dire des détenus, il a été un facteur d’apaisement et de bonne entente durant le reste de son incarcération. Cet état d’esprit d’ouverture lui a permis de faire une démarche spirituelle et d’attendre sa sortie sereinement. Lors du dernier partage biblique auquel il a assisté avant sa sortie il a déclaré : « Je suis content d’avoir passé ce temps en détention car je ressors avec une autre vision pour le reste de ma vie ». L’attente pleine d’espérance est le carburant du chrétien ne l’oublions pas !