Thomas Kapp est membre de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
C’était en 2009 ou en 2010. Jean Costil m’avait parlé du Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) peu après sa création. Il l’avait rejoint pour y effectuer des missions après avoir quitté son poste de permanent à la Cimade de Lyon. Il m’en avait décrit l’importance et m’avait aussi fait part de sa surprise de la découverte de conditions de prise en charge si difficiles dans différents lieux d’enfermement, au-delà des centres de rétention administrative qu’il connaissait bien, puisque la Cimade y était implantée.
Les années ont passé et j’ai poursuivi ma carrière au sein du ministère du travail, comme inspecteur du travail jusqu’à devenir directeur régional adjoint au sein d’une DREETS, une direction interministérielle territoriale en charge de différentes politiques publiques.
Après des années au sein de ce ministère, j’ai réfléchi à une réorientation professionnelle avec l’envie de découvrir de nouveaux domaines, de me mettre dans une posture d’apprentissage, de prise de risque et d’humilité face à de nouveaux sujets.
J’avais envie de m’impliquer dans engagements qui me sont chers : acteur du service public, au service du droit, de la justice, de la justice sociale, des droits fondamentaux des êtres humains… réalisation d’une « mission », mot que j’aime bien et que j’utilise fréquemment, qui se définit comme « un but élevé, un devoir inhérent à une fonction, une profession, à une activité et au rôle social qu’on lui attribue ». L’attachement à l’Etat de droit, au service public, à la lutte contre les discriminations, le racisme, à la défense des plus faibles, à la déontologie dans l’action menée sont des valeurs qui me portent.
Après les propos de Jean Costil qui m’étaient restés en mémoire et ma lecture de nombreux articles sur la situation dans les prisons françaises, le CGLPL s’est apparu présenté comme une opportunité de changement dans la continuité. Dans sa façon de procéder, le CGLPL est dans une démarche intellectuelle proche de l’inspection du travail : action de contrôle, nécessité d’une régulation, application du droit à des personnes vulnérables, dignité des personnes… On retrouve également l’importance d’une institution publique, indépendante, chargée de faire respecter les droits des personnes vulnérables, les droits des plus faibles, les droits fondamentaux, la dignité des personnes, toujours, quelle que soit leur condition, quoi qu’elles aient pu faire, mineurs délinquants, étrangers en instance de reconduite à la frontière, malades mentaux enfermés, gardés à vue…
Le CGLPL s’intéresse en effet à tous les lieux d’enfermement, les établissements pénitentiaires et les centres de rétention administratives bien sûr, mais aussi les hôpitaux psychiatriques où des personnes peuvent faire l’objet de soins sans leur consentement, les centres éducatifs fermés pour les jeunes mineurs, les zones d’attente dans les aéroports, mais aussi les geôles des commissariats ou des gendarmeries. Tous ces lieux sont confrontés à des difficultés posant des questions fondamentales pour notre société. Quel sort réservons-nous aux personnes enfermées ? Quelle humanité leur reconnaît-on ? Quel avenir leur prépare-ton ? C’est toutefois la prison qui concentre le plus les débats comme le démontre tous les jours l’actualité, les médias et les responsables politiques s’engouffrant dans des faits divers justifiant de nouvelles dispositions toujours plus répressives.
Le période n’est pas à l’accroissement des droits et à l’amélioration du sort des personnes « qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas et qu’on n’écoute pas ». Le contexte se prête à la surenchère dans les propositions visant à plus de fermeté, sans jamais que la réflexion n’aille jusqu’à la mesure de l’efficacité de telles politiques. Est-on sûr qu’être toujours plus dur permette de réduire la violence et fasse reculer la criminalité ? L’exemple des Etats-Unis, où le taux d’enfermement de la population est élevé, mais qui produit une société violente devrait nous éclairer. La peine de mort n’a jamais dissuadé quiconque de commettre un crime, Robert Badinter nous l’avait si bien démontré.
Comme l’indique Dominique Simonnot, contrôleure générale « Il est difficile de défendre les droits de ceux qu’une société n’aime pas, ne veut pas regarder et se moque bien des mauvais traitements qui leur sont infligés. Difficile enfin, de voir balayée l’évidence selon laquelle la manière dont ils sont traités rejaillit, forcément, sur leur destin à leur sortie et forcément sur nous et notre société tout entière. »
Au début de l’année 2024, devant le cercueil de Robert Badinter, le Président de la République a rappelé solennellement combien comptait la « vie des détenus » pour celui qui nous quittait : « car pour lui existait un droit qu’aucune loi ne pouvait entamer, aucune sentence retrancher, le droit de devenir meilleur, même en prison, même coupable ».
Il nous manque aujourd’hui un responsable politique ayant la force et le courage de Robert Badinter, qui puisse tenir un discours puissant et volontaire face aux préjugés, aux propos de bistrots « ils l’ont bien cherché, ils ont ce qu’ils méritent », ou pire encore dans le degré de bêtise « la prison c’est le Club Med » lorsque l’on décrit les conditions d’enfermement. Qui saura rétablir la vérité, proposer et porter une politique juste, efficace, humaine ?