Laurent Ridel a été le directeur de l’Administration pénitentiaire de 2021 à 2024.
Dans les cercles relationnels autour des détenus, la relation la plus intime, empreinte d’une très grande confiance, est certainement celle entretenue avec l’aumônier,confie Monsieur Laurent Ridel, Inspecteur général de la Justice et ancien directeur national de l’Administration pénitentiaire, lors d’une interview réalisée le 12 mars 2025, dans laquelle il révèle son analyse de la situation carcérale actuelle, tout particulièrement la place du religieux et de l’aumônier. Le Garde des sceaux lui a confié une mission relative à l’immobilier pénitentiaire, domaine qui a fait l’objet d’annonces ministérielles récentes .
JLB : Dans les années 1980, on parlait peu du monde des prisons. Pourquoi ce choix insolite ?
L.R. : « Issu d’une famille de juristes, magistrats et professions libérales, j’ai suivi des études de droit par tradition familiale alors que l’histoire me passionnait. Assez logiquement je me suis orienté vers le droit public et les sciences politiques, en ayant le souhait de servir l’Etat et l’intérêt général. Mon frère était éducateur et m’a suggéré de m’inscrire au concours de directeur des services pénitentiaires. Cela me paraissait ouvrir de larges perspectives. » Passionné par le monde pénitentiaire qu’il voit comme une fenêtre ouverte sur la société et ses nombreux défis, Monsieur Ridel y a occupé successivement les postes de chef de Cabinet à la Direction de l’Administration pénitentiaire; chef d’établissement de la maison centrale de Poissy, puis, du centre pénitentiaire de Nouméa; conseiller pénitentiaire au cabinet du Garde des Sceaux; directeur interrégional des services pénitentiaires des régions respectivement du Grand-est, de l’Outre-mer et d’Ile de France, avant de devenir directeur national de l’Administration pénitentiaire jusqu’au 8 avril 2024.
JLB : Comment ne pas évoquer la surpopulation ?
LR : « C’est en France un phénomène structurel et endémique. C’est un véritable cancer qui mine nos détentions. Elle se traduit par des conditions indignes de prise en charge des détenus, elle dégrade les conditions de travail des personnels, génère de la violence et rend très difficile le travail sur le sens de la peine et la prévention de la récidive. Elle peut aussi entrainer une forme de résignation, devenant un prétexte à ne plus assurer qu’un fonctionnement a minima de nos établissements.
Nos maisons d’arrêt connaissent actuellement un taux d’occupation de 160%. Quelle autre institution ou service public fonctionne de façon habituelle dans une telle situation de surchauffe ? On peut vraiment rendre hommage aux fonctionnaires pénitentiaires. Il est nécessaire de construire de nouveaux établissements pénitentiaires et de développer et crédibiliser les mesures de probation mais il convient également d’engager une réflexion apaisée et constructive sur le sujet. On doit dans le domaine pénitentiaire comme dans les autres secteurs de l’action publique reconnaitre le principe de réalité. Notre situation est l’une des plus critiques en Europe de l’ouest. Aux Pays-Bas, en Allemagne ou au Royaume-Uni, l’alerte est donnée dès que le taux d’occupation approche des 100%. En Allemagne, on a assisté sur les dix dernières années à une baisse d’un tiers des détenus. C’est le résultat d’une volonté portée par les magistrats et les responsables politiques s’appuyant sur une approche objective et systémique, intégrant la question trop souvent ignorée dans notre pays du coût et de l’évaluation des politiques conduites. Notons à cet égard que le taux de recouvrement des amendes pénales dépasse dans ce pays 90%, ce qui est bien supérieur à la France.
Dans notre pays, l’emprisonnement semble devenir la réponse parfois facile et simpliste à tous les problèmes que connait la société et la pénitentiaire a le sentiment d’être un peu la « voiture balai ». Les services pénitentiaires, situés au bout de la chaine pénale et à l’extrémité du champ social, sont le réceptacle de tout ce qui a failli dans la société (famille, éducation, services sociaux, psychiatrie…). La réponse pénale est essentielle mais elle doit s’accompagner d’autres politiques pour traiter les dysfonctionnements de nos sociétés. On constate au plan international que les pays ayant un taux d’incarcération particulièrement élevé ne sont pas forcément ceux qui garantissent la plus grande sécurité et le meilleur épanouissement de leurs populations (USA, Russie, Turquie, Chine, Brésil…)
JLB : Qu’est-ce qui bloque ?
L.R. : « En particulier, le principe de l’égalitarisme, au nom duquel, tous les détenus devraient être traités de la même manière avec les mêmes normes de sécurité. C’est absurde. Il faut être pragmatique, en prenant en charge de façon différenciée et appliquer les grands principes de façon plus nuancée. Il est nécessaire de développer des peines adaptées aux actes commis, à la personnalité et à la dangerosité des personnes. Le temps de prise en charge pénitentiaire, tant en milieu ouvert que fermé, doit être un temps utile pour prévenir la récidive.
JLB: Donc, vous êtes favorable aux dispositions spéciales qui vont être mises en place contre les plus grands narcotrafiquants dans plusieurs établissements déjà très sécurisés?
L.R. : Cette politique s’inscrit dans ce mouvement de diversification de la prise en charge des détenus. Elle s’appuie aussi de manière pragmatique sur des dispositifs existants, Vendin-le Viel et Condé-sur-Sarthe étant certainement les établissements les plus sécurisés de France.
JLB : J’ai été frappée à La Réunion ou en Polynésie par l’existence de petites structures très familiales, aux régimes atypiques, très tournées vers la réinsertion avec des projets créatifs, comme l’apprentissage de la culture maraîchère ou des formations au jardinage. Ne pourrait-on pas imaginer de telles structures dans l’hexagone ?
L.R. : « L’Administration pénitentiaire suit les évolutions et les mouvements de la société : par exemple, le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis a été construit à la période des grands ensembles immobiliers de l’Après-guerre. Son architecte, Guillaume Gillet, disciple de Le Corbusier, a d’ailleurs réalisé de nombreux bâtiments religieux. Au niveau de la distribution des parloirs dans le hall de l’établissement de Fleury, se trouvent des vitraux. On se croirait dans une chapelle et en même temps, l’ensemble est très fonctionnel. Effectivement, en Outre-mer, il existe de petites structures, très familiales. Dans son rapport, le CGLPL a écrit que le tutoiement en Polynésie était un tutoiement de bienveillance et non une marque de mépris. Le Garde des Sceaux m’a d’ailleurs confié une mission visant à développer rapidement de petites structures à dimension humaine. La construction sera moins onéreuse et plus rapide, avec un niveau de sécurité adapté à une délinquance de plus faible intensité.