Petite histoire de l’aumônerie de prison (4ème partie)

Par Brice Deymié, aumônier national protestant

De 1899 à 1905 : les aumôniers sur la sellette

Lors d’un débat à la chambre des députés du 5 décembre 1899, et en prélude à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le rapporteur du budget entend diminuer progressivement le crédit accordé aux aumôneries pénitentiaires qui à l’époque concernait les catholiques, les protestants et les juifs. L’argument avancé est que l’action de l’aumônerie “se réduit à presque rien[1] » d’après le rapporteur du budget de l’administration pénitentiaire qui cite partiellement un texte du Comte d’Haussonville[2] qui écrit : “Quant aux instructions hebdomadaires et aux visites périodiques des aumôniers, il est bien difficile de rien affirmer relativement à la régularité avec laquelle elles s’exécutent”. Le rapporteur du budget propose donc de ne plus payer d’indemnités aux aumôniers dans les prisons et de confier cette tâche au “clergé paroissial ou aux ministres de la circonscription consistoriale protestante ou israélite”.

L’abbé Gayraud (1856 – 1911), député du Finistère, proteste contre cette suppression des crédits : “Je ferai observer tout d’abord que la commission du budget a peut-être négligé de s’informer auprès de qui de droit s’il n’y aurait pas quelque inconvénient à charger partout le clergé paroissial de ce service”. Il continue en faisant remarquer que si les aumôniers ne consacrent pas suffisamment de temps à leur tâche en détention “C’est entre autres causes, parce que l’indemnité qu’on leur alloue est très insuffisante, parce que souvent la nécessité les oblige à se charger de différentes fonctions rétribuées, afin de pourvoir suffisamment à leur existence personnelle”. Le député considère que la tâche de l’aumônier est fondamentale en détention et qu’elle ne saurait être réduite à une mesquine question d’argent. Il en va, pour lui, de donner du sens à la peine : “Il est évident que la détention n’est pas destinée seulement à produire un effet pénal, mais encore à exercer autant que possible une influence moralisatrice. Or qui pourrait douter, messieurs, que l’action religieuse ne soit un élément important de cette moralisation”.

Le rapporteur du budget rejette l’amendement de l’abbé Gayraud en lui opposant d’une part l’inefficacité des aumôniers qui ne se rendent dans les prisons que le dimanche pour célébrer l’office et d’autre part le fait que la plupart des aumôniers indemnisés cumulent leur traitement concordataire avec l’indemnité pénitentiaire : « (la Chambre) devra dire si elle maintient les indemnités non concordataires qui n’ont plus de raison d’être puisque le service de l’aumônerie se résume désormais à la célébration de la messe les dimanches et jours de fête. Ceci n’entre-t-il pas dans les attributions paroissiales ? »

La citation du livre du Comte d’Haussonville – qui a servi le propos du rapporteur du budget de l’Administration pénitentiaire – était trop partielle ; un autre député prit la parole dans ce même débat pour rétablir la vérité de la citation. Le comte d’Haussonville n’écrivait pas que les aumôniers ne servaient pas à grand-chose mais plutôt qu’ils étaient empêchés d’exercer leur ministère et en particulier celui de la visite : « Quant aux conversations individuelles qu’ils peuvent avoir avec les détenus, où ces conversations auraient-elles lieu ? Dans les préaux, pendant le repas ? Mais l’aumônier qui s’y aventurera, ne risque-t-il pas de se voir bafoué, sinon insulté ? Dans les ateliers, pendant le travail ? L’entrepreneur s’y oppose. Dans la chapelle ? Quel détenu osera s’y rendre, quand il sera sûr d’être accueilli par les railleries de ses camarades ? ». Donc, explique l’auteur, les aumôniers « se sont peu à peu découragés de ces visites et ont fini par se borner à la messe réglementaire du dimanche ».

Dans ce débat s’amorce celui de la laïcisation de l’espace public et du rôle du religieux. Certains, pour de prétendues raisons budgétaires, souhaitent ramener l’aumônerie à son aspect rituel et festif et d’autres font de l’accompagnement spirituel un gage de réinsertion. Le comte d’Haussonville écrit « L’histoire du bon larron ou la légende de Madeleine produiront toujours plus d’effets sur les âmes coupables que les enseignements les plus élevés de la philosophie ». Ce débat n’est toujours pas clos aujourd’hui[3].

A suivre….


[1] Toutes les citations de ce débat parlementaire sont extraites du Journal Officiel relatant la séance du 5 décembre 1899, pp. 2071 à 2074.

[2] Auteur d’un ouvrage célèbre intitulé : Les Etablissements pénitentiaires en France et aux colonies (1875), il fut député de la Seine et Marne de 1871 à 1876, il siégeait au centre droit. C’est dans cet ouvrage que fut écrite la célèbre phrase : « Au fond d’obscures geôles de province, se cachent parfois des dévouements d’autant plus méritoires, qu’ils n’ont pour eux ni l’attrait des récompenses, ni l’éclat des services rendus ».

[3] L’amendement de l’Abbé Gayraud est finalement adopté et les indemnités pénitentiaires sont maintenues pour les aumôniers de prison.